Elle est grande et belle, en chemisier bleu et jupe noire à volants. Elle se tient droite, la carrure solide. En regardant ses longs cheveux blonds frisés, on s'aperçoit qu'elle tremble. Comment l'imaginer en agresseuse embusquée ? Elle, Florence Wojcik, 44 ans, directrice des affaires culturelles de la mairie de La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) depuis 2001. Elle, la «sensible», la «douce», la «timide» Florence, éprise d'animaux et de nature, surdiplômée - trois maîtrises, un DEA -, habitant chez ses parents jusqu'à ses 34 ans. Comment la voir en imper col relevé, un foulard sur le visage, cachée derrière un arbre, déguisée pour épier ?
Le 12 octobre 2011, en fin d’après-midi, Laila V. (1), enseignante en journalisme, sort du domicile de son ancien directeur de thèse, Claude Meyer, à Cesson, en Seine-et-Marne. Elle regagne sa voiture, ouvre le coffre, une femme se jette sur elle. Deux coups de couteau à la gorge. Laila hurle. Le sang coule dans son cou. Claude Meyer sort, affolé. Laila restera plusieurs jours à l’hôpital, sous les bandages.
«Emulation intellectuelle»
En cette fin du mois de mai 2015, la cour d'assises de Melun juge Florence Wojcik pour «tentative de meurtre» sur Laila V. Les jurés ouvrent des yeux ronds tant l'écart semble immense entre cette femme inhibée, qui pleure et demande pardon, et la furie au couteau de Cesson.
Florence Wojcik a rencontré Claude Meyer en 2004, à l'IUT d'Issoudun (Indre). Il y enseigne deux jours par semaine les sciences de la communication, elle y suit une formation d'«affirmation de soi» : sa hiérarchie trouve qu'elle «manque de confiance» pour diriger les quatorze personnes sous ses ordres. Elle a 33 ans, lui 57. Elle sort de deux déceptions amoureuses, les deux seules relations de sa vie, des hommes mariés. Claude Meyer aussi est marié, père de trois enfants, il ne le lui cache pas. Mais il se montre très disponible. Lorsqu'il est à Issoudun, il est entièrement à elle, habite avec elle. Une partie des week-ends aussi. Ils se promènent dans la forêt, elle l'écoute parler.
Claude encourage Florence à se lancer dans une thèse. Il lui demande son «appui» pour ses ouvrages : saisie de textes, correction de fautes d'orthographe. Elle le fait de bon cœur, elle «adore» taper à l'ordinateur. Lorsqu'elle repense à cette période, elle décrit une «émulation intellectuelle». Claude parle aussi à Florence de sa femme : Odile. Il n'a pas de secret pour elle, et Odile a «validé» leur liaison. D'ailleurs, un peu plus tard, Odile appelle Florence. «Elle était très amicale, se souvient l'accusée. Le deal c'était : M. et Mme Meyer n'avaient plus de relations sexuelles, moi j'étais là pour ça.» Ensuite, l'épouse téléphone presque à chaque fois que Claude est avec Florence, pour «prendre des nouvelles».
En 2005, les parents de Florence se séparent. Elle habitait encore avec eux, s'achète une petite maison. Claude abandonne alors son pied à terre d'Issoudun. «Pour faire des économies», il se fera héberger par Florence ses jours d'enseignement. Mais le pavillon «humide» de la jeune femme n'est pas à son goût. Avec Odile, ils y descendent quelques jours pour faire des travaux. Odile choisit la déco.
Vacances à trois
En 2006, Claude et Florence partent en vacances ensemble, au Kenya. Odile décide de la destination. Elle les accompagne à l’aéroport, vient les y rechercher. Idem l’année suivante pour la Californie, puis en 2008, Cuba. En 2009, ils s’envolent tous les trois, pour Madagascar. Florence a droit à deux nuits dans le lit de Claude.
Au retour en France, Claude envoie à Florence un SMS d'amour visiblement destiné à une autre. Puis ce sont des photos. Il les laisse traîner «par mégarde» sur une clé USB qu'il lui donne. Odile et Claude en vacances au camping. Entre eux, tout sourire, Laila V. Elle la reconnaît, elle l'a croisée à une soutenance de thèse. «J'ai demandé à M. Meyer s'ils avaient une liaison, raconte-t-elle. Il m'a répondu que j'étais folle, il m'a envoyé une liste de psychiatres pour me faire soigner.» Autre clé USB, autre photo. Florence Wojcik pleure au moment de la décrire. «Il était en train de pénétrer Madame V. Monsieur Meyer aimait me prendre en photo dans cette même position quand nous avions des relations sexuelles.»
Pascal Garbarini, son avocat, n'y tient plus. «Mais enfin, madame, vous êtes une personne sensée ! Tout ce que vous nous racontez, c'est glauque au maximum ! Comment vous en êtes arrivée là ?» Elle baisse les yeux. «J'avais l'impression que ce couple me faisait un cadeau en m'acceptant. Je ne connaissais rien de la vie. Je ne vivais que par et pour Monsieur Meyer.»
A la même époque, les relations entre Florence et Odile se dégradent. Accoudée relax à la barre, cheveux châtains au carré, tunique et pantalon d'été, «Madame Meyer» explique que la maîtresse de son mari «devenait envahissante, ne restait plus à sa place». Et qu'elle s'est «sentie trahie» quand Florence a déclenché «une crise d'herpès» lors du voyage à Madagascar. «Elle ne m'avait pas dit qu'elle avait cette maladie. Elle n'a pris aucune précaution lors des relations sexuelles. J'aurais pu récupérer cet herpès.»
Florence Wojcik a grandi dans un village à côté d'Orléans. Elle est la troisième enfant d'une fratrie de quatre. Son père, professeur de mathématiques, bat sa femme et ses enfants. Sa mère, inspectrice des impôts, sombre dans la dépression. Elle fait deux tentatives de suicide. Une fois en avalant des cachets, une autre fois au volant, alors que Florence est dans la voiture. Douée pour les études, la jeune fille s'enferme dans ce carcan protecteur, cumule les diplômes, se définit en «rat de bibliothèque». «Elle a le sentiment permanent de ne pas être à la hauteur, dit l'experte psychologue Corinne Descamps. Avec M. Meyer, c'est la première fois qu'elle rencontre quelqu'un d'aussi attentionné, qui lui consacre du temps.»
«Validées» par l’épouse
Le 12 octobre 2011, Florence devait passer sa journée avec Claude Meyer. Deux jours avant, il annule. Lui dit qu'il doit recevoir chez lui une doctorante irakienne. Fébrile, elle l'appelle plusieurs fois. Il ne répond pas. Elle conduit jusqu'à Cesson. Le «déclencheur», dit-elle, c'est le visage de Laila V. lorsqu'elle est sortie de la maison. «Elle était rayonnante. Je l'ai vue comme je pouvais être quand je partais de chez lui.»
Du couteau, qu'elle dit avoir emporté pour découper sa pomme, seule nourriture que ses brûlures d'estomac toléraient, et des deux coups qu'elle a donnés avec, elle ne se souvient plus. En garde à vue, Florence Wojcik a appris que Laila V. était la maîtresse de Claude Meyer depuis trois ans. Qu'elle aussi avait été «validée» par Odile Meyer.
A la barre de la cour d'assises de Melun, le professeur d'université était très attendu. Derrière les lunettes, le costume, les cheveux gris et l'embonpoint, on cherche en vain les signes du séducteur. Pascal Garbarini lit des SMS envoyés par Claude à Florence. «Dis-moi si tu as des amants, si tu as un mec, j'ai besoin de le savoir.» «Il souffre beaucoup. Il ne sait plus rien de sa princesse. Il ne sait pas qui sont ses amis.» L'avocat rugit: «Donc "il", c'est vous, parce que vous parlez de vous à la troisième personne. Et les SMS datent de 2012 et 2013, après les faits ! C'est comme ça que vous l'aidez à tourner la page ? Cette femme qui a donné deux coups de couteau pour vous, est-ce que vous allez enfin la laisser vivre ? Ou bien vous attendez qu'elle en crève ?!»
Florence Wojcik a été condamnée à cinq ans de prison, dont quatre ans et demi de sursis. Après la diatribe de Pascal Garbarini, Claude Meyer a gémi : «Ce n'est pas facile pour moi.»
(1) Le prénom a été modifié.
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