Les femmes de Jean-François Lepage étaient parfaites. De fins mannequins, représentations impassibles des stéréotypes contemporains que vomit chaque jour le papier glacé des magazines féminins. Mais ça, c’était avant. Avant d’être soumises au pinceau, au cutter, à l’agrafeuse, à la pointe de compas. Avant d’être malaxées dans le cortex provocateur du photographe devenu artiste.
Ses créatures s'ébattent dans un zoo au clair de lune où la lumière bleutée du film Polaroid vient lécher et réveiller les carnations. Elles sont tantôt inquiétantes, tantôt vulnérables, perdues dans des armures de traits, de couleurs, de zébrures. En voilà une à qui il a crevé les yeux. Une autre erre dans un décor vide, le crâne planté de clous. Elles portent des masques, des coiffes ou des croix gravées sur leurs fronts hautains. Jean-François Lepage se joue des critères du «beau» et nous donne des pistes pour les redéfinir, ou, mieux, ne plus les définir. Une recherche de plus en plus radicale qu'il poursuit avec sa nouvelle série, Recycle - Préludes, dans laquelle il intervient sur les images qu'il a lui même shootées pour les magazines ou les marques.
Lepage est à la mode ce que Frankenstein est à la science : un savant un peu fou, brillant avant tout. La photographie est pour lui un acte expiatoire, relevant quasiment de la purification. «Je suis comme un chirurgien qui fait face à son patient avec lucidité et engagement, mais avec l'absolue certitude que la seule personne que je peux vraiment sauver, c'est moi-même.»
Moonlight Zoo, monographie parue aux éditions Prestel, 2015, 192 pp., 48 €.
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