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Libération
Animaux diplomatiques (3/6)

Un éléphant pour Mitterrand

Que s’offrent les grands de ce monde dans leur valise au cours de leurs voyages officiels ? Des cadeaux protocolaires à poils.
Un éléphanteau d'Asie au zoo de Rotterdam, en 2012. (Photo Tim Strater, CC BY SA)
publié le 10 août 2015 à 18h06

Paris, un soir de juin 1985. On célèbre avec munificence l'année de l'Inde en France. Le Premier ministre Rajiv Gandhi a fait le déplacement. Il faut absolument l'éblouir. Sous ses yeux, des jarres d'eau tirée du Gange sont versées dans la Seine en cascades fusionnelles, comme pour coupler les deux fleuves. Des arches de bambous et de lianes sont dressées. Des colliers, des bracelets de jasmin blanc portés aux poignets. Quand le soleil disparaît, des milliers de lampes à huile, nefs de feuilles sèches, tanguent sur les eaux noires comme des lucioles étourdies. «Gamins, préparez vos zooms !»s'enflamme à l'époque le Nouvel Observateur, totalement acquis aux festivités avant d'avoir aperçu la moindre étincelle. L'hebdo conseille à ses lecteurs de guetter le bouquet final : un «cadeau magique» est promis au président Mitterrand.

Depuis le premier étage de la tour Eiffel, le fameux cadeau est dévoilé au monde, sans magie aucune. Les Parisiens découvrent un éléphanteau apeuré de 500 kilos, maquillé, peinturluré comme un Ganesh de poche. Kaveri, femelle indienne de 18 mois, pose à côté de Danielle Mitterrand. La Première dame se prend d'affection pour l'animal abasourdi et vient ensuite lui rendre visite au zoo de Vincennes à plusieurs reprises. Libé a même suivi le dossier. «C'est une star, une Lolita dandinant du croupion», disent les soigneurs du parc à propos du mammifère indien, qui reprend vite du poil de la bête. La vedette n'intéresse pas le Président, plutôt friand de labradors et d'ânes. Et puis les éléphants, il y en a déjà tellement au PS…

En février 1989, Bombay accueille la réciproque, un festival miroir : l’année de la France en Inde. François Mitterrand bénéficie du même accueil somptuaire que Rajiv Gandhi, mais Tonton est là pour discuter nucléaire, télécommunications, vaccins. Pas de cadeau animalier dans les valises. Depuis que le Gange a coulé dans la Seine, un soir de juin, la tour Eiffel n’a plus croisé d’éléphants bariolés.

Aujourd’hui, c’est un tout autre cérémonial qui se déroule à ses pieds : la France met en miettes, devant les caméras, des tonnes d’ivoire intercepté, espérant étouffer le marché de l’or blanc et protéger les géants en voie d’extinction. La fête est finie depuis longtemps pour les éléphants.