L'Américain Dave Praeger est le créateur du «site intellectuel sur le caca» Poopreport.com et l'auteur du livre Poop Culture : How America Is Shaped by Its Grossest National Product (éd. Feral House).
Pourquoi les excréments sont-ils si tabous ?
Instinctivement, les humains voient le caca comme contaminant. Le tabou vient du fait que l’on interprète un polluant physique comme capable d’une pollution symbolique. Là-dessus, l’enseignement du pot marque à vie : il montre que le caca est le symbole absolu de la négativité, qui doit disparaître pour toujours dans les toilettes. Imaginez un enfant à qui les parents apprennent que le caca est «polluant», «pas naturel» : il associera toujours ses propres fonctions naturelles au sentiment de dégoût de ses parents.
Cela a-t-il toujours été tabou ?
D’une manière générale oui, mais dans des proportions qui changent en fonction des technologies de traitement des déchets. Avant l’apparition des toilettes, il était acceptable de faire caca dans des fosses communes privées. La plomberie est apparue comme un symbole de propreté et, plus les toilettes et la plomberie se sont améliorées, plus les tabous se sont reportés sur des techniques qui étaient auparavant acceptables.
Pourquoi est-ce encore plus délicat sur le lieu de travail ?
Cela dépend de la façon dont l’individu a intériorisé la signification du caca. Pour certains, le tabou vient de l’idée que le caca des autres est contaminant. Pour d’autres, tous les cacas sont polluants, y compris le leur. Ces derniers ont souvent des problèmes pour déféquer dans les lieux où ils pourraient être reconnus, parce qu’ils ont peur que le fait d’être associé à l’acte ne puisse les dissocier de la substance.
Est-ce perçu différemment selon la place dans la hiérarchie ou la classe sociale ?
Si vous pensez que le caca est un polluant, votre peur d’autocontamination augmente avec le statut que vous accordez à l’observateur. Et si vous avez du mépris pour quelqu’un d’une classe inférieure, il sera amplifié par l’association de cette personne au caca. Si vous voyez le travail dans le bâtiment comme un métier sale, la contamination du caca aura moins de pouvoir qu’elle n’en aurait avec un métier «propre», par exemple chirurgien.
Est-ce perçu différemment selon que l’on est un homme ou une femme ?
Les femmes sont généralement perçues comme le plus propre des deux sexes, donc si vous voyez le caca comme un polluant symbolique, c’est d’autant plus puissant que ça contraste avec l’image de propreté supérieure que vous aviez de la femme.
Comment se débarrasser de ce tabou ?
Il faudrait adopter une nouvelle idéologie selon laquelle faire caca n’est pas un acte sale, mais un rituel purifiant : lorsque vous entrez dans les toilettes, les impuretés de votre corps sont réunies dans votre rectum, puis vous les expulsez et vous quittez les toilettes plus propre, plus pur et plus civilisé.