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Libération
Crimes en famille (5/7)

Jean-Marc, le coup de feu de l’amour

En octobre 2011, Jean-Marc Arbouin tue Cyrille Boutin, mari de sa maîtresse, Nathalie Sallé, pour «sauver» cette dernière, qui se plaignait de la violence de son époux. Ils vivaient tous dans la même ferme.
publié le 14 août 2015 à 17h36

La presse les avait surnommés «les amants diaboliques», on avait même parlé d'une «Madame Bovary du Blayais». Les jurés des cours d'assises de Bordeaux puis d'Angoulême ont eu du mal à trouver le romanesque derrière leurs silhouettes affaissées. Lui, les épaules lasses, la voix triste, un grand corps mal habillé. Elle, petite femme en surpoids, la peau grise, un dauphin tatoué sur le bras gauche. Jean-Marc Arbouin et Nathalie Sallé n'ont que leurs visages ordinaires à offrir en support à leur histoire d'amour mortelle.

L’histoire judiciaire, elle, démarre un soir d’octobre 2011. Nathalie Sallé, 38 ans, ouvrière agricole sans véritable emploi, s’inquiète de la disparition de son mari, Cyrille Boutin, 39 ans. Il est parti à la chasse aux canards dans la forêt de Cavignac (Gironde) et, à l’heure qu’il est, il devrait être revenu depuis longtemps. Les gendarmes sont appelés, ils organisent une battue dans la nuit noire. Personne.

Le lendemain matin, ils sont prêts à s’y remettre, ce n’est pas la peine. Nathalie et sa mère, levées tôt, ont retrouvé Cyrille, près du «lac Vert». Mort, face contre terre, quatre trous rouges dans le dos.

«Côté vaillant»

L'accident de chasse est à exclure : l'homme a été abattu puis achevé. Par qui ? Les enquêteurs trouvent un vague conflit avec un ferrailleur mais, globalement, une vie lisse. Homme certes «de fort caractère», Cyrille Boutin, 39 ans, est néanmoins apprécié et bien connu dans la région de Cavignac, bourg de 1 700 habitants. Même si la ferme où il habite, les Renardières, est un trou perdu au fond des bois, isolé de tout et de tous.

Nathalie Sallé dit qu'elle aimait chez son mari «son côté vaillant. C'était un homme qui savait ce qu'il voulait». Ils se sont rencontrés en 1986 au collège. Elle a 14 ans, lui 15. Ils se perdent ensuite de vue, chacun ayant arrêté tôt les études. Se recroisent deux années plus tard et s'installent ensemble. Cyrille, qui est issu d'une famille «compliquée» - 12 enfants, dont 9 placés -, vient d'être mis à la porte par sa mère. C'est donc la mère et le beau-père de Nathalie qui accueillent le jeune couple. Et bientôt leur premier enfant, Hervé, né en 1991. Une fille viendra ensuite, en 1996.

A l’époque, ils habitent déjà aux Renardières, propriété de la famille de Nathalie. Tout ce monde vit ensemble dans un espace modeste, avec aussi les grands-parents, et des ouvriers hébergés. Vu de l’extérieur, la promiscuité semble étouffante. Nul n’a les moyens de s’en plaindre. Cyrille, laveur de citernes dans une entreprise de poids lourds, a des revenus limités. Deux accidents successifs, sur la route et au travail, lui lèguent de terribles souffrances au dos. A partir de 2000, seule une activité à temps partiel lui est autorisée. Il est reconnu travailleur handicapé.

C'est à cette époque, dit Nathalie, que l'ambiance s'est dégradée. Les douleurs rendent son mari acariâtre. Il se dispute avec elle, avec leur fils. «Quand quelque chose n'allait pas, c'était de notre faute», raconte-t-elle. Famille et amis sont témoins des «cris». Nathalie évoque aussi «des coups».

De nouveaux habitants arrivent aux Renardières. D’abord, en 2008, P., 16 ans, compagne d’Hervé, qui donne naissance à une petite fille. Puis en 2009, Jean-Marc Arbouin, le père de P. Dépressif depuis un divorce et une condamnation pour attouchements sur mineure qu’il estime infondée, cet ouvrier viticole est consolé par le couple Boutin. Les deux hommes chassent et bricolent ensemble. Nathalie et Jean-Marc aussi se rapprochent. A l’été 2010, ils deviennent amants.

«Jean-Marc était gentil avec moi, tout le temps, a expliqué Nathalie à la juge d'instruction. Mon mari me frappait. Il me harcelait chaque nuit pour avoir des rapports.» Aux Renardières, Jean-Marc et Nathalie volent chaque minute qu'ils peuvent pour se retrouver. Elle lui confie son malheur conjugal. Elle voudrait divorcer mais Cyrille refuse, dit-elle. Il la menace de s'en prendre à leurs enfants. Un plan se dessine, qui leur semble la «seule solution». Ils partiront à la chasse tous les trois, Cyrille ne reviendra pas.

Alibi mal ficelé

Les gendarmes n'ont pas mis longtemps à comprendre. Après leur crime, Jean-Marc et Nathalie continuent de s'envoyer des mots d'amour sur leurs téléphones placés sur écoute : «Coucou je t'aime à ce soir.» L'alibi mal ficelé de Jean-Marc - une vidange de sa Laguna - s'écroule vite. Placés en garde à vue début décembre, les amants avouent. Dès début 2011, expliquent-ils, ils ont commencé à «en parler». A plusieurs reprises, lors de parties de chasse, Jean-Marc a été sur le point de faire feu. Mais il n'a «pas eu le cran». Le dimanche 30 octobre 2011, sur un «hochement de tête de Nathalie», signe «déclencheur», il a tiré quatre fois. Ils sont repartis «en pleurant, les jambes tremblantes, main dans la main».

Aux deux procès d'assises, en décembre 2013 puis en novembre 2014, l'avocate générale Dominique Hoflack a présenté Nathalie Sallé en «instigatrice et manipulatrice, plus intéressée qu'amoureuse» : «Elle est la tête, il est le bras armé», scande la magistrate. En partie civile, les avocats Selim Vallies et Anne Cadiot-Feidt, qui représentent une sœur de Cyrille Boutin, partagent cette analyse. «Nathalie Sallé ne voulait pas d'un divorce, car elle aurait dû partager la maison, à laquelle elle tenait plus que tout. Son mari ne travaillait plus, ne lui servait plus à rien. Elle a utilisé Arbouin pour s'en débarrasser.»

Dans le box, le visage fermé, quasi muette, Nathalie Sallé aggrave son cas. Elle qui avait reconnu la préparation du crime, puis son signal de tête, nie maintenant toute participation. L'assassinat serait une libre initiative d'Arbouin. Les jurés restent bouche bée quand ce dernier confirme. «A chaque fois que Jean-Marc Arbouin revient sur ses dépositions, ce n'est pas pour se défendre lui, c'est pour protéger Nathalie, observe Maud Sécheresse, son avocate en appel. Il est fou amoureux.» «De son côté à elle, les sentiments sont moins clairs, note Janaïna Leymarie, l'avocate d'Hervé Boutin. Surtout, elle "passe mal", elle ne sait pas se défendre.»

Raison de vivre

En première comme en deuxième instance, Jean-Marc Arbouin a été condamné à trente ans de prison. Sa «période de sûreté» lui a été retirée en appel. Nathalie Sallé, à l'inverse, a vu sa peine aggravée : vingt-cinq ans au lieu de dix-huit. Les experts psychologue et psychiatre ont dit que Jean-Marc Arbouin, pompier volontaire depuis ses 12 ans, s'était donné pour mission de «sauver» Nathalie Sallé.

Fils choyé de parents ouvriers, son existence bascule lorsque son père tombe d'un toit où ils étaient grimpés tous deux, et se tue sous ses yeux. Toute sa vie, il culpabilise de n'avoir pu éviter ce drame. Comme il s'en veut de n'avoir su empêcher, à la suite, la dépression de sa mère, qui sombre dans l'alcool. Son geste pour Nathalie serait sa revanche. Depuis leur rencontre, elle est devenue sa raison de vivre. «Si vous me dites elle et moi c'est fini, je me supprime», assure-t-il. Nathalie Sallé aussi a connu une enfance dramatique, victime des violences d'un père alcoolique qui a fini par se suicider. Elle s'est construite dans la peur, se sentant «faible et dépendante, en besoin d'être tout le temps épaulée», écrit une psychologue.

«Jean-Marc m'a offert un mois de bonheur», dira Nathalie Sallé pour évoquer la période entre le meurtre et leur arrestation. En prison, son amant s'est tatoué un énorme «Nathalie» sur l'avant-bras. Ils s'écrivent toujours des lettres enflammées, faisant mentir ceux qui prédisaient la fin de leur amour «diabolique».

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