C'est une photographie abstraite ou presque, en blanc et noir, ou plus exactement, si l'on parle de la série complète, en blanc, blanc cassé, gris souris, gris plus sombre, gris anthracite, noir. Des formes la composent. Elles sont en papier sauf pour quelques motifs humains : natte, main, fesses, nombril, etc. Pour réaliser ce travail intitulé Fragments, la jeune photographe américaine Patricia Voulgaris a travaillé sur la mémoire. Car lorsque les souvenirs s'effacent, il n'en reste plus que des morceaux.
Bien sûr, les photographies permettent de se remémorer des moments précis. Mais qu'en est-il des autres souvenirs ? Sont-ils plus tenaces que ceux dont il reste une trace photographique ? L'artiste s'est donc collé à ses «recollections» (mot anglais pour «souvenirs») qu'elle a d'abord reconstruits pour mieux les déconstruire. C'est pourquoi chaque image est un arrangement entre le familier et le vague composé de lignes, d'aplats, de trous, de lumière et d'ombre. Elle travaille chez elle, à New York : «Je recouvre les murs avec une tonne de papier. Parfois, ma mère fait le modèle ou des amis acceptent d'être recouverts pendant des heures tandis que je me débats avec l'éclairage.» L'abstraction s'est révélée à elle un matin, même si elle avoue s'y être intéressée dès ses premières expériences de développement photographique, au lycée. Parmi les photographes qui l'influencent, elle cite deux maîtres du papier, Thomas Demand et Daniel Gordon, ainsi que le surréaliste Man Ray et les photogrammes de Laszlo Moholy Nagy.