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Libération
Télé (6/6)

«Hair», musical hippie tondu à l’écran

D’abord comédie musicale subversive, l’adaptation de l’œuvre en film s’est transformée : édulcorée pour certains, différente mais tout aussi intéressante pour d’autres.
Don Dacus, Annie Golden, Dorsey Wright et Treat Williams dans la version ciné de «Hair». (Photo MGM. Miroslav Ondrieck)
publié le 21 août 2015 à 17h56

C'est une secousse psychédélique. Un hymne pacifiste. Une ode à la liberté et à l'amour. C'est l'histoire de Claude et de Berger, des hippies new-yorkais qui militent contre la guerre au Vietnam. C'est Let the Sunshine in. C'est un déluge de coupes afro, fleurs dans les cheveux et pantalons pattes d'eph. Si l'on retient essentiellement aujourd'hui ses aspects folkloriques, le gentillet «faites l'amour, pas la guerre», c'est oublier le caractère novateur et sulfureux de Hair, dont l'adaptation cinématographique par Milos Forman est diffusée ce soir sur Arte. Première comédie musicale rock, premier musical «conceptuel»… Le «American Tribal Love-Rock Musical» a révolutionné le musical, explosant dans une avalanche de flower power les règles de la comédie musicale américaine. «Hair a ouvert une nouvelle ère de la comédie musicale et sonné définitivement la fin de l'âge d'or de Broadway», affirme Patrick Niedo, historien de la comédie musicale américaine (1).

Si certaines comédies musicales de l'époque abordent le racisme ( South Pacific), les bandes (West Side Story), l'esclavage (The King and I) ou les violences conjugales (Carroussel), Hair porte sur scène dès 1967, sur des musiques de Galt MacDermot, les drogues et les amours libres, évoque l'homosexualité, les couples mixtes, le rejet du puritanisme ambiant, de la bigoterie, de la société de consommation… Et surtout le refus de la guerre du Vietnam. Autant de sujets qui concernent directement la jeunesse américaine. «Jusqu'alors, les comédies musicales étaient souvent inspirées de romans, détaille Laurent Valière, producteur de 42e Rue (France Musique), une émission consacrée aux comédies musicales. Aujourd'hui, cette comédie musicale peut presque se regarder comme une reconstitution historique.» Niedo ajoute : «Aucune autre comédie musicale n'a exprimé l'esprit d'une époque comme l'a fait Hair. Il faudra attendre Rent de Jonathan Larson en 1996 pour assister à une autre peinture de la société telle qu'elle est, cette fois au temps du sida.» Car Hair n'est pas le fruit de l'imagination de ses auteurs. Gerome Ragni et James Rando, ses deux créateurs, ont basé leur pièce sur leurs observations du quartier avant-gardiste et bohème d'East Village à New York, alors haut lieu de la contestation des jeunes refusant la conscription pour la guerre du Vietnam. «Les rôles de Berger et de Claude sont largement autobiographiques», précise dans son ouvrage Patrick Niedo.

Jumelles. D'abord une comédie musicale du «off», Hair, après plusieurs versions, est ensuite monté à Broadway. Pour la première fois, le rock fait son apparition sur une scène «légitime». «Alors que les comédies musicales à la Hello Dolly encore en vogue à cette époque étaient accompagnées d'orchestres, Hair ne compte qu'une dizaine de musiciens, ce qui est alors exceptionnel», souligne Valière. Dans le théâtre, Hair déconstruit les codes traditionnels de la comédie musicale. Le spectacle commence «aux alentours de 20 heures». Certains acteurs, avant le début de la représentation, sont dans la salle, embrassent le public, s'assoient sur les genoux des spectateurs. Sur scène, les personnages improvisent, font tourner les pétards, dansent de manière lascive, s'embrassent à pleine bouche, se jouent du ô combien sacré drapeau américain… Et entonnent des titres tels que Sodomy, chantent en chœur leur amour des drogues ou louent Krishna. A la fin du premier acte, les acteurs et actrices volontaires terminent nus. «On raconte que des spectateurs venaient avec leurs jumelles pour se rincer l'œil !» lance en riant Laurent Valière. Lors du finale, sur Let the Sunshine in, le public est invité à rejoindre la troupe sur scène. Du jamais vu encore à Broadway. «Hair laisse pour la première fois les spectateurs s'exprimer, détaille Niedo. C'est la comédie musicale conceptuelle par excellence, non seulement parce que son parfum de révolte ne peut laisser personne indifférent, mais aussi parce qu'elle suscite une réaction immédiate de la salle. Le public peut se reconnaître et militer lui aussi en chantant.»

Brouillon. A l'affiche pendant quatre ans sans interruption à Broadway, le musical part en tournée aux Etats-Unis et est adapté dans le monde entier. La pièce est montée à Paris en 1969. Et c'est Julien Clerc, alors jeune débutant, qui enfile la veste en peau de mouton de Claude. Parmi la troupe de hippies, on remarque aussi Gérard Lenorman et même Carlos (le chanteur à chemise hawaïenne, pas le terroriste). La traversée de l'Atlantique n'enlève en rien son côté sulfureux. En décembre 1969, devant le Théâtre de la Porte-Saint-Martin, des membres de l'Armée du salut manifestent avec des pancartes telles que «I comme impies» ou «Stoppez la vague érotique» et tentent de faire arrêter le spectacle. Les spectateurs leur répliquent en chantant : «Nous sommes tous des obsédés.»

Dix ans plus tard, le réalisateur Milos Forman porte à l'écran l'histoire de Claude, Berger et toute la troupe vivant à l'ère du morceau Aquarius. Et en change la trame. De hippie convaincu, Claude devient un jeune blanc-bec débarquant de son Oklahoma pour s'enrôler dans l'armée. Sheila, amante de Claude et Berger sur scène, devient une jeune bourgeoise qui s'encanaille auprès des hippies. «Le film n'est pas fidèle à la comédie musicale originelle, souligne Laurent Valière. Il est plus fade, plus moralisateur. L'homme pur ne meurt pas à la fin. Les deux auteurs, James Rado et Gerome Ragni, se sont d'ailleurs désolidarisés de l'adaptation et ne reconnaîtront jamais le film.» Pour Niedo, le Hair de Forman n'en reste pas moins «une œuvre magnifique» : «Le long métrage ne représente en rien l'ambiance du musical. Mais par l'orchestration des titres, la mise en scène et un nouveau script, le film est finalement plus cohérent que l'œuvre originale, qui a gardé un côté brouillon dans toutes ses versions. D'ailleurs, dans les nouvelles versions scéniques de Hair, le livret change au gré des metteurs en scène.» Comme si Hair continuait d'insuffler un vent de liberté jusque dans ses adaptations.

(1) Auteur d’Histoires de comédies musicales, aux éditions Ipanema, 2010.