Dans la théologie de la malbouffe, l'archange déchu, la forme
comestible du Malin, a un nom: le hamburger. Gras, sucre, sel, viande: à lui seul il les contient tous. Il est aussi chargé, si l'on peut dire, négativement: il est plein de manque, de vide, de déséquilibre nutritionnel. C'est un diable mou, un peu gras, vaguement sucrailleux, qui s'avance flanqué d'une paire de petits démonneaux ketchupiens et cocacolesques. Son vice premier et irréductible n'est pas diététique mais gastropolitique. Il est à la bouffe ce que le rap est à la chanson française: l'agent d'une cinquième colonne envoyée par l'Amérique infantile, corruptrice, impérialiste, décadente, à l'assaut de nos diverses exceptions culturelles. Décidément, notre diable de hamburger est un parfait bouc émissaire. Contre lui peut se sceller l'union sacrée du spectre politique, du puritanisme nutritionnel et de la franchouillardise écolo-culinaire. Or, pendant que McDo encaisse (à tous les sens du terme), la pizza installe tout tranquillement sa domination sur le monde. On en mange de Düsseldorf à La Havane et de Moscou à Calcutta. La deuxième chaîne de fast-food au monde se nomme Pizza Hut. L'empire du hamburger lui même, l'Amérique profonde, est envahi. Or l'impérialisme planétaire triomphant de la pizza laisse les zélateurs du bien-manger-de-chez-nous impassibles. On ne sache pas pourtant qu'en termes nutritionnels, pour ne pas parler de gastronomie, il y ait une quelconque supériorité de la pizza-sainte-nitouch