C'est tendre? En deux mots, voilà réglée aujourd'hui la qualité d'un
plat, la destinée d'un cuisinier! Il y a bien longtemps, l'Homo sapiens mangeait les viandes et les légumes crus. Les os, les arêtes, les bois de légumes abîmaient sa dentition. De la vie dans les cavernes, la bouche en devenait une. Aujourd'hui, l'écrevisse est décortiquée, le pilon de poulet remplacé par une farce, la soupe au pain devient potage ou consommé, la viande molle prend la place de la carcasse, la cuillère remplace le pain dans la sauce, le poisson désarêté devient carré ou rectangulaire.
Pourtant, des plats préparés en usine aux restaurants sophistiqués, les cuisiniers cherchent à enrayer cette tendance au Tout-Mou. Mou comme nos caractères, comme notre vie. Cuisiniers, réveillons-nous! Halte au sans os et sans reproche! Réhabilitons la fonction de mastiquer. Manger vient du latin manducare, mâcher, mastiquer. Rééduquons nos lèvres à sucer la côte de porc, arrêtons les mousses de poisson ou de légume juste utiles à précéder nos dents de lait. Retrouvons le plaisir de gratter, croquer, sucer. Evitons la dénutrition" Diététique! Calories! Manger léger! Aérobic! Pas de graisse! Le monde médical des années 80 est passé par-là. La viande devient Satan. Les belles côtes de boeuf persillées à souhait, où la graisse, en cuisant, donne ce goût de noisettes grillées fondantes et moelleuses, sont regardées comme du poison cynique. Pour manger un onglet, il faut du temps, de l'effort et un peu d'argent. Al