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Libération

AN 2000. Les objets du siècle. Le tracteur. Traverses. Le cheval de Troie. Par Henri Mendras

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publié le 29 mai 1999 à 1h14

Le tracteur fut le cheval de Troie du capitalisme et de l'industrie

qui, pénétrant par surprise dans la civilisation paysanne millénaire, la détruisit en moins de vingt ans. Monstrueuse bête mécanique toute rouge, écrasant tout sur son passage et rejetant une fumée noire et nauséabonde. Encore fût-il vert qu'il se serait fondu dans la nature, mais ce rouge arrogant et détonnant séduisait les jeunes agriculteurs parce qu'il se voyait de loin et faisait envie aux voisins. Assis, triomphant, sur sa machine rouge, le tractoriste regarde devant lui et ne peut suivre le travail de son soc qu'en se retournant de temps à autre au risque de perdre le sillon. Quel contraste avec le vieux paysan tenant le mancheron de sa charrue, observant le sillon qu'il creuse en suivant des chevaux rompus à la tâche, ou mieux, un couple de boeufs avançant avec une extrême lenteur!

La perfide machine se présentait sous son jour le plus attrayant: travail plus rapide, plus profond pour moins de peine; travail assis compté en heures et non plus marche continue de journées entières. Mais la machine s'achète, au lieu que les chevaux et le boeuf s'élèvent sans débourser un sou, sans rien compter que leur provende et la peine de l'éleveur, aussi son plaisir à voir croître et à dresser une belle bête. Tandis que le tracteur, il faut le payer et donc se mettre en dettes et, ensuite, acheter le gasoil, l'huile, payer au réparateur les pièces de rechange.

De l'argent, toujours plus d'argent: le poison monétaire