On ne sait plus ce qu'est un pont- transbordeur. Un pont où ne
circulaient que des wagons suspendus, convoyant les marchandises d'une rive à l'autre d'un port. Ces «Meccano géants», en poutrelles d'acier, ont régné sur les ports du début du siècle: Nantes, Bordeaux, Bizerte, Tunis, Buenos Aires... Aujourd'hui, il n'en reste qu'un seul, classé monument historique, à Rochefort-sur-Mer. Ils avaient tous le même constructeur, Ferdinand Arnaudin, qui les édifiait à ses frais et percevait ensuite sa dîme sur leur exploitation. Celui de Marseille fut érigé vers 1905. Pendant près d'un demi-siècle, il a été aussi emblématique que la Canebière, mais les Marseillais ne s'y sont jamais habitués. Il crachait de la suie et de l'huile. Les pétitions à son encontre pleuvaient. A la Libération, en 1944, les bombardements anglais ont fracassé l'une des ses piles, et on l'a éliminé en 1946.
Le pont transbordeur, symbole d'une époque, a disparu, comme la prospérité. Mais il avait été aimé. Par les photographes du Bauhaus, qui virent en lui l'illustration exacte de leur credo: l'architecture est l'art majeur de ce temps, surtout quand elle n'est que fonctionnelle. Ils érigèrent son image en paradigme. Herbert Bayer, alerté par Siegfried Giedion, en réalise des photos, qui seront montrées à la grande exposition des avant-gardes, en 1929, à Stuttgart. Moholy-Nagy vient à Marseille, suivi par tous les photographes de la vison modernistes. Plongées, contre-plongées, fragmentation: les lignes du réel