«Vous qui avez connu tant de gens, me dit-on, et pas n'importe
lesquels, publié deux ou trois centaines d'auteurs dont quelques-uns sont devenus célèbres, noué des liens d'amitié avec certains d'entre eux, que de choses vous devez avoir à nous dire! Je fais un effort, j'appelle au secours ma mémoire. Oui, peut-être, oui, sans doute, mais quelle épreuve!» Ainsi Maurice Nadeau commençait-il son recueil de souvenirs en 1990, Grâces leur soient rendues (éditions Albin Michel). Aujourd'hui, à 88 ans, l'éditeur de Henry Miller, d'Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, l'importateur du Ferdydurke de Gombrowicz, du Quatuor d'Alexandrie de Durrell, le découvreur de Perec, de Barthes ou de Houellebecq, semble encore plus persuadé de n'avoir pas grand-chose, plus grand-chose à dire. Ainsi, au moment de nous quitter, il nous recommande, soucieux, de lui faire parvenir notre article afin qu'il puisse le compléter avant parution: «J'ai été critique et je sais que pour qu'une interview soit réussie, il faut que l'interviewer arrive, en réécrivant son papier, à faire dire des choses intéressantes à l'interviewé"» Et de citer en exemple l'inventeur français de l'entretien littéraire, Jules Huret, dont l'Enquête sur l'évolution littéraire, publiée à la fin du siècle dernier, reparaît en septembre chez Corti.
Dans le même ordre d'idées (dévalorisantes), Maurice Nadeau ne fait pas le faux modeste, précise-t-il, mais il n'a jamais été un véritable éditeur: «J'y suis venu par malentendu" Un éditeu