Menu
Libération

AN 2000. Les objets du siècle. Le jean. Traverses. Pour l'historien, avec une couleur si pacifique, le jean ne peut pas être transgressif. Bleu protestant.

Article réservé aux abonnés
par Michel PASTOUREAU
publié le 18 septembre 1999 à 0h46

Même si ses couleurs se sont diversifiées, le jean est

symboliquement resté un vêtement bleu. C'est-à-dire, contrairement à tout ce qui a pu s'écrire à son sujet, un vêtement sage, austère, puritain même. Dans les sociétés occidentales, en effet, un vêtement de couleur bleue n'a jamais été et ne sera probablement jamais ni agressif ni transgressif. Le bleu est, depuis le XVIIIe siècle au moins, la couleur préférée de plus de la moitié de la population en Europe et en Amérique du Nord; et il y est aujourd'hui, loin devant toutes les autres, la couleur la plus portée dans le vêtement, tant par les hommes que par les femmes. Par là même, c'est une couleur neutre: porter sur soi du bleu ou bien dire que l'on a le bleu pour couleur préférée, c'est au fond ne rien révéler de soi-même, tant cela est banal, paisible, tiède. En revanche, préférer le rouge, le noir ou même le vert" C'est là une des caractéristiques essentielles du bleu dans la symbolique occidentale des couleurs: il ne fait pas de vagues, il est calme, pacifique, lointain, presque neutre. Il fait rêver bien sûr (pensons à la fleur bleue des poètes romantiques, aux vapeurs de l'alcool ou bien au blues), mais ce rêve mélancolique a quelque chose d'anesthésiant. On peint aujourd'hui en bleu les murs des hôpitaux, on en habille tous les médicaments de la famille des calmants, on l'utilise dans le code de la route pour exprimer tout ce qui est autorisé, on le sollicite pour en faire une couleur politique modérée et consensu