Lipljan, envoyé spécial.
Des enfants courent dans la cage d'escalier, devenue leur seul terrain de jeu sûr, derrière la lourde porte en fer de l'entrée toujours bien fermée à clef. Au coin de la façade, le tuyau de gouttière a été déchiqueté le 1er mars par une charge de deux kilos d'explosif qui n'a pas fait de victime. Un trou dans le ciment du perron rappelle la grenade lancée un mois plus tôt. Le bloc A est le dernier carré serbe dans le grand immeuble de briques rouges au centre de la ville de Lipljan. Depuis bientôt dix mois, Yugoslav M. passe toutes ses soirées dans son appartement du 7e étage, avec le gros poste de télé toujours allumé, réglé par habitude sur la télévision de Belgrade que, écoeuré, il ne regarde même plus. Il tue le temps en jouant à «ne sois pas fâché» variante yougoslave du jeu de l'oie avec sa femme, son frère et deux cousins qui ont fui leur appartement du bloc voisin désormais entièrement habité par des Albanais. «J'ai fini par oublier ce qu'est l'asphalte», ironise le jeune instituteur qui chaque matin gagne par des petits chemins boueux son école installée dans une maison basse à l'autre bout du quartier serbe gardé par des soldats finlandais de la Kfor.
Cloîtrés. Pour lui, comme pour les autres Serbes de Lipljan désormais à peine 2 500 dans le centre-ville de cette commune à 30 km au sud de Pristina , il n'est plus question d'aller au centre grouillant de monde où, dans les cafés et les pizzérias refaits à neuf, les jeunes Albanais ne s'