Psychiatre-psychanalyste, Pierre Benghozi (1) a dirigé, pour le
ministère de l'Emploi, l'enquête sur la violence auprès de plus de 20 000 travailleurs sociaux (2). Au vu des résultats, il parle de «violences masquées». Un terme qui peut être transposé à l'ensemble du monde du travail.
De quoi souffrent le plus les travailleurs sociaux?
Le plus douloureux pour eux ne serait pas d'être victimes d'agressivité ou de violence, mais d'être dans l'impuissance d'aider les familles, de ne pouvoir accomplir leur mission. Pourquoi leur propre souffrance passe-t-elle au second plan?
Il y a une culture du champ social, qui consiste à être là non pour soi, mais pour les autres. L'intervenant social ne s'écoute pas, ne dit pas qu'il souffre, car cela paraît dérisoire par rapport à ce qu'il vit professionnellement. Son travail s'inscrit dans une tradition à la fois laïque et caritative où prédomine la disponibilité pour l'autre. Les travailleurs sociaux ressentent donc une certaine culpabilité et une honte à parler. D'autre part, les institutions tolèrent souvent très mal celui qui dénonce les dysfonctionnements du système. C'est comme s'il trahissait le clan. Une personne qui parle peut vite se retrouver dehors. Il faut donc protéger la parole pour qu'elle puisse s'exprimer.
Ce non-dit ne s'explique-t-il pas aussi par la nature des violence subies?
Les violences chaudes violences physiques sont relativement rares en comparaison avec les violences froides (insultes, agressions verbales, inc