J'ai souvent quitté l'Inde. La première fois, j'avais treize ans et demi et j'entrais en pension à Rugby, en Angleterre. Ma mère ne voulait pas que je parte mais j'ai tenu bon. Je me suis envolé vers l'ouest, tout excité, en janvier 1961, sans bien savoir que je faisais un pas qui changerait ma vie à jamais. Quelques années plus tard, sans me le dire, mon père a soudain vendu Windsor Villa, notre maison de famille de Bombay. Quand je l'ai appris, j'ai eu l'impression qu'un gouffre s'ouvrait sous mes pieds. Je crois n'avoir jamais pardonné à mon père d'avoir vendu cette maison, et je suis sûr que s'il ne l'avait pas fait, j'y vivrais encore. Depuis, mes personnages ont souvent quitté l'Inde en avion pour l'Occident, mais, roman après roman, l'imagination de l'auteur y est retournée. C'est peut-être cela, ce que veut dire aimer un pays : que sa forme est aussi la sienne, celle de sa façon de penser, de sentir, de rêver. Cela veut dire qu'on ne peut jamais le quitter vraiment.
Avant les massacres de la partition (Inde-Pakistan) en 1947, mes parents ont quitté Delhi pour le Sud, en pensant à juste titre qu'il y aurait moins de problèmes dans la ville laïque et cosmopolite de Bombay. Le résultat, c'est que j'ai grandi dans cette ville tolérante, aux idées larges, dont j'ai depuis essayé de saisir et de célébrer la qualité particulière - appelons-la la liberté. Les Enfants de minuit (1981) a été ma première tentative de ce genre de revendication littéraire et territoriale. Vivant à