Ma parole, c'est la fille d'hier, vous vous souvenez, celle qui sortait d'un magasin, avec, disait la légende, des cigarettes à la main, et qu'on croyait ne jamais revoir. La revoici, courbée. Maintenant qu'on la connaît mieux, on a envie de tirer sur le noeud de son tablier, elle se retourne et vous gifle, ça, mon vieux, vous ne l'avez pas volé.Hier, elle était triste et égarée, le visage net au milieu de la photo, le geste rapide, flouté par sa propre vitesse pour qu'on ne puisse pas voir ce qu'elle tenait en main. Un homme de dos et fourbu de chaque côté d'elle comme des Atlantes retournés, celui de gauche torse nu dans la boutique, et l'image sous lui illisible, comme effacée d'un coup d'éponge, rappelez-vous, celui de droite portait un pantalon de survêt NBA, un sac de sport à l'épaule. On comprenait que ces rencontres ne se feraient pas. Et la voilà ce soir dans une pièce vide, elle est de dos, elle porte des mules en groule, elle a l'air d'une serveuse, mais il n'y a rien ni personne à servir. Elle écrit, vite, on le voit au bougé du coude. Je dis «ce soir», car la pièce baigne dans une lumière rouge, artificielle, dont la source est hors champ, au-dessus du plan de travail et que dehors, il fait tout blanc. Les crépuscules pétersbourgeois sont réputés pour leur blancheur, lumière blanche du septentrion et des brouillards mêlés du lac Ladoga, du golfe de Finlande et des bords nauséeux de la Néva. Lumière fantomatique sans source de lumière, elle passe au travers des c
Le tablier : L'été russe de Lise Sarfati (2/6)
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publié le 15 août 2000 à 3h26
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