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Libération

Les copains d'abord. L'été breton, de Patrick Messina (2/6)

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D'après photo
publié le 22 août 2000 à 3h36

Pardonnez-moi, je sais qu'il n'y a aucune raison qu'à cette photo que je vois se substitue une autre image que je n'ai jamais vue. Et pourtant, je ne peux pas m'en détourner. Ici, quelque part sur la presqu'île de Rhuys, à la Pointe de Bilgroix, du Bernon ou du Ruaud, deux hommes jeunes se jettent à l'eau sous le regard, et peut-être même au signal du photographe: il a préparé comme chaque fois sa chambre obscure, son format américain, 5 pouces sur 7, et décalé le plan du film de la perpendiculaire qui traverse l'objectif afin de construire cette ligne de netteté verticale qui organise le flou sur ses flancs, c'est sa manière. J'imagine que lorsque tout fut prêt, puisque c'est les vacances et qu'on a bien le droit de plaisanter, il a crié «Go!» comme on encourage quelques GI's à sauter sur Okinawa.

Quelqu'un regardait la photo par dessus mon épaule: «Je pense à cette femme dans Level Five, de Chris Marker, qui se suicide en sautant de la falaise dans une île japonaise, elle porte un enfant dans ses bras, je crois bien qu'elle porte un enfant dans ses bras, pas sûr, elle saute devant la caméra.» Voilà, c'est tout, et maintenant je vois cette femme que je n'ai jamais vue, dans un film que je n'ai jamais vu, dans une réalité que je n'ai pas connue.

Le 1er avril 1945, la 10e armée américaine envahit l'île d'Okinawa, la plus grande de l'archipel des Ryù kiù, elle se heurta à la résistance farouche et sanglante de la 32e armée japonaise, n'en devint maître que quarante jours plus ta