Comme un fleuve que rien ne vient briser, le flot des mots déferle. Sans doute l'heure de la parole est-elle venue. Encouragée, depuis des années, par la rumeur olympique qui annonçait que l'humanité entière allait regarder l'Australie, voir des paysages démesurés et découvrir des hommes humiliés. Une parole relayée par la presse internationale qui, en raison des Jeux, raconte aujourd'hui une histoire qui aura duré presque un siècle. Les Aborigènes le savent. C'est maintenant qu'il faut parler, alors que la planète est, l'espace de quelques semaines seulement, attentive à leur monde.
Fillette réservée. Des mots par milliers, et puis une photo. Celle de petites filles métis dont les portraits furent publiés pour adoption dans un journal de Sydney, en 1934. Sur le cliché, la plupart baissent la tête. Les autres fixent l'objectif avec le regard écartelé des biches face au fusil. Sur la robe de coton blanc de l'une d'entre elles, une lectrice a tracé une croix à l'encre violette et répondu à l'annonce : «J'aime la petite fille au centre du groupe, mais si elle est déjà réservée par quelqu'un d'autre, n'importe laquelle fera l'affaire à condition qu'elle soit résistante.» Sur la photo, l'enfant de papier, marquée d'une croix, s'efface. Un visage dans une multitude, celle que les Aborigènes appellent la «génération volée».
Le ministre des Affaires aborigènes, John Herron, s'accroche aux chiffres et refuse l'expression. «Seulement» 10 % des enfants aborigènes auraient été concernés p