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Libération
Interview

«Il disait, j'ai toujours 5 ans»

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Le beau-père, dans le souvenir de Jacques-Alain Miller :
publié le 13 avril 2001 à 0h29
(mis à jour le 13 avril 2001 à 0h29)

Qu'est-ce qui vous reste, d'un point de vue affectif et sentimental, de votre beau-père ?

Si je dois vous répondre de but en blanc, je dis : c'est sa voix, et c'est aussi son regard. Sa voix a changé au cours du temps, mais il a toujours gardé une diction d'une autre époque, toujours très tenue, cadencée. Sa voix jouait sur une gamme étendue, murmures, enflures, grincements, tonnerre, parfois elle se féminisait. C'était un instrument manié avec art, depuis la haute profération théorique affichant la précision jusqu'à des éructations polémiques, à un vibrato romantique, à la gouaille. Cette voix reste pour moi d'une grande présence dans le souvenir, émouvante quand j'ai l'occasion de la réentendre. Son regard. Il y en avait plusieurs, des regards de Lacan. Il y avait le regard malicieux de celui qui en dit ou qui en entend une bien bonne, et aussi ce regard retiré qui vous donnait le sentiment d'être considéré depuis un point situé très loin, et qui à l'occasion vous faisait dire vite. Ce qui me reste aussi bien présent, c'est la gaîté qui était la sienne. Il le disait : «Je suis gamin.» Un jour, nous nous amusions à table à dauber sur l'âge mental de chacun et il dit : «Moi, j'ai toujours 5 ans !» C'était pour rire, mais c'était bien vu : un âge d'avant l'âge de raison, quand le désir et la demande s'accordent dans l'exigence, qui n'admet pas le non de l'autre.

Quand on vient vous voir et que l'on vous demande : il est où, Lacan, dans la société d'au