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Libération

Un culebras tordu.

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publié le 13 avril 2001 à 0h29

C'était aux temps heureux où fumer dans les amphis était non seulement autorisé mais une sorte de must (pardon rétrospectif aux allergiques, rares à se manifester à l'époque, que nous avons empuantis). Dans cet univers de volutes obligatoires, voire militantes, émergeait la forte figure de Lacan. Sa toison blanche, ses cols Mao ou ses noeuds papillons, entre mandarin céleste et sorbonnard. Il y avait surtout ce cigare tirebouchonné. Sa marque de fabrique. Comme un logo. Sa sémiologie à lui-même consacrée.

On a longtemps glosé sur ce pétun à la fois provocant, parce que extravagant, et honteux, à sa manière de se dérober. Hors norme, son détenteur ne pouvait en effet qu'arborer un module compliqué, tortueux, un colimaçon, et, en même temps, pas tout à fait érectile, grossièrement phallique. L'exégète du Désir ne pouvait, en toute décence, brandir un barreau de chaise trop arrogant, trop sûr de son fait. Le cigare de Lacan ne pouvait donc être qu'à l'image de sa pensée : jamais là où on l'attendait, surtout pas péremptoire. De quel lieu parles-tu ? Sûrement pas de la ligne droite...

On a cru longtemps que ce cigare était un Toscani, rude tabac italien digne des travaux des champs de la Péninsule. Non, son modèle appartient à la famille cubaine des culebras, livrés en fagot de trois petits cigares torsadés et liés par un fil délicat. Il y faut des feuilles de cape suffisamment souples pour pouvoir être ainsi tordues, puis tressées. Ce module avait disparu depuis des années de nos