Brusque, fulgurante dans le ciel du réel, c'est progressivement que la blessure s'installe dans notre coeur, c'est lentement, très lentement, qu'elle ronge son chemin vers nos tripes. Mystère que cette image de la personne ou de la chose aimée que l'on construit, élabore, fragment par fragment, au long des années, à la faveur des détails glanés par chacun de nos cinq sens... Et à chaque moment cela fait un tout, une entité complète et complexe qui vit en nous, solidement ancrée... Pour les personnages, une fois le livre lu, il arrive que cette image intérieure ne s'altère plus : chacun porte en soi un Lear, un Hamlet, un Tartuffe, et sait ce qu'il veut dire par «Lear», «Hamlet», «Tartuffe». Avec les êtres humains, l'image refuse ou ne refuse pas, selon les cas, de suivre les transformations de son modèle vivant ; si l'on aime la personne, on retouche constamment son image, la modifiant pour inclure tel sourire, telle saute d'humeur, telle blague inattendue, telle nouvelle ride... Tu es malade, te voyant malade j'accepte d'inclure aussi, dans mon image de toi, la peau marbrée, les veines gonflées, le visage blafard et fatigué, j'accepte, j'accepte parce que je t'aime. (Une phrase d'un pédophile distingué, obstinément fichée dans mon esprit depuis des années, dit tout le contraire, assume la préférence de l'image sur la personne : «Mes petits amis, écrivait-il en substance, savent qu'il ne faut pas venir me rendre visite quand ils sont enrhumés.»)
Et lorsque les atteintes au co