Un matin, un employé se réveille, mange trois minitomates et sent une démangeaison sur ses jambes. Il regarde : de l'alfalfa a poussé au niveau des mollets. Plus on approche du genou, plus la plante pousse dru. En français, l'alfalfa est une pousse comestible de luzerne. Au Japon, ce serait plutôt le germe d'un radis blanc. Mais, là-bas comme ici, on n'a jamais vu la peau couverte d'une telle jungle. Ce n'est pas une raison pour contourner le règlement. On ne peut pas ne pas y lire une variation japonaise sur l'univers de Kafka : son humour, sa logique, son désespoir. L'assistante du dermatologue fait attendre le patient et lui dit qu'il n'y a rien de pire que les malades qui exagèrent leur cas. Le dermatologue envoie sa femme chez le marchand de légumes pour vérifier qu'il s'agit bien d'alfalfa. Puis il vomit en faisant le bruit d'un chat qui a avalé une arête, avant d'envoyer au diable l'alfalfien sur un lit motorisé, sous perfusion et sans avenir. L'envoyer où ? En enfer, bien sûr. Qui prend la forme d'une cure thermale. Où le malade descend, comme à la mine, dans un wagonnet, bercé par «le rythme régulier de la jointure des rails» qui a «un effet soporifique qui ressemble à une sorte de nostalgie». La suite, c'est Alice maladive au pays des antimerveilles. Alice est l'écrivain lui-même, âgé de 69 ans. L'auteur de la Femme des sables et du Plan déchiqueté meurt en 1993, après la publication de ce roman de la maladie et de la mort : de cette poche kangourou amenant ses mis
Critique
Cahier Kangourou
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par Philippe Lançon
publié le 15 juillet 2003 à 23h56
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