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Libération

«Aron lui lance: Bonjour, mon petit camarade»

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publié le 11 mars 2005 à 0h56

Petit camarade : ainsi s'appelaient entre eux Sartre, Nizan, Lagache et Aron à l'Ecole normale lorsqu'ils avaient 20 ans ; ainsi Aron salua-t-il Sartre ce 20 juin 1979 devant les télévisions du monde. Il s'agissait de sauver des Vietnamiens qui, fuyant le communisme par milliers, se noyaient en mer de Chine, la faim, la maladie, les requins, les pirates... Devant la tragédie de ces boat people, quelques médecins, anciens du Biafra, s'étaient réunis avec des intellectuels : «Il n'y a pas des morts de droite et des morts de gauche», avait dit Bernard Kouchner. Un comité hâtivement formé décida de lancer un navire-hôpital, l'Ile-de-Lumière, le bateau pour le Vietnam. Il fallait aussi obtenir des pays occidentaux qu'ils accordent des milliers de visas, puisque la Malaisie et la Thaïlande avaient décidé de repousser les réfugiés.

Lorsque Michel Foucault et André Glucksmann rencontrèrent Sartre pour le convaincre, celui-ci donna aussitôt son accord. «Même s'il y a Aron ?» «Oui, même s'il y a Aron.»

Sartre et Aron étaient brouillés depuis plus de trente ans. Tout les avait séparés : le communisme, de Gaulle, le goût du premier pour l'insurrection, le respect du second pour les institutions, bref, au-delà des querelles politiques, une philosophie de l'Histoire. A l'idée qu'ils allaient se croiser pour une cause commune, le monde intellectuel en son entier frémissait de plaisir, de curiosité ou de réprobation.

La conférence se tient dans la grande salle de l'hôtel Lutétia. Une longue ta