Pascal Bruckner Ecrivain.
Par libération des moeurs, on entend deux choses distinctes : la levée, dans les années 60, des tabous qui pesaient sur la sexualité, mais aussi l'émancipation des femmes et des minorités. Ce double objectif a été partiellement accompli, du moins dans le monde occidental, d'autant qu'il s'est accompagné du triomphe de l'individu, maître et possesseur de lui-même, débarrassé de la tutelle sociale. Certes, ce mouvement a donné lieu à un nouveau dogmatisme, les curés de la jouissance obligatoire prolifèrent, aussi sentencieux que les censeurs d'hier. Impossible toutefois de soutenir comme Roland Barthes en 1977 que l'obscénité désormais consiste à parler d'amour : au contraire, l'affranchissement des corps a renforcé et non étouffé le sentiment amoureux, enrichi de sa part charnelle. Les petites annonces quotidiennes de Libération, follement romanesques, en témoignent avec éloquence. Cette trajectoire me semble menacée : par le réveil des fondamentalismes religieux toujours prêts à remettre en cause les acquis de cette période, le divorce, le travail féminin, le droit à l'avortement ; mais aussi par la présence en Europe de fortes communautés en provenance de sociétés traditionnelles et qui imposent au nom de Dieu, de la culture, le voile, le mariage forcé, la polygamie voire l'excision. La complaisance de certaines forces progressistes, au nom du respect de la différence, ne laisse pas d'inquiéter. Depuis un demi-siècle, la