Hervé Bokobza
Psychiatre
«Tu es complètement fou», «c'est une vraie folie», «c'était une ambiance folle». Le langage nous confirme que la folie est inhérente à la condition humaine. L'existence du fou, celui qui incarne publiquement l'évanouissement de la raison, est sans doute ce qui permet à une société de se sentir ou de se repérer la «moins folle» possible. Depuis et grâce à l'avènement de la République, la psychiatrie s'est fixée comme objectif d'accompagner et de soigner les malades mentaux.
Dans les années d'après-guerre, trois découvertes fondamentales ont bouleversé cette jeune discipline : la psychanalyse, les médicaments psychotropes, la psychothérapie institutionnelle. Ces découvertes confirment que traiter et accompagner les malades mentaux nous impose de mettre en tension permanente les découvertes des sciences de la nature d'une part et des sciences humaines d'autre part. Ainsi, la psychiatrie est inéluctablement inscrite dans le champ social. Deux travers vont la menacer en permanence : psychiatriser les problèmes sociaux ou socialiser les problèmes psychiatriques. Le déni du fait psychique prend des aspects jusqu’alors méconnus : traiter la maladie mentale comme une maladie «ordinaire» en est l’expression la plus tangible. Le nouveau paysage de la psychiatrie postmoderne ne représente-t-il pas une formidable machine à broyer ce que chaque être, avec sa singularité et son histoire, tente par ses symptômes et ses souffrances de signifier à l’autre ?
Franck Chaumon