J'avais 18 ans lorsque, pour la première fois, j'ai entendu quelqu'un dire : «Passe-moi la confiote.» On était entre amis, l'ambiance était détendue, j'étais heureuse de passer des vacances sans mes parents, et j'ai reçu le mot «confiote» comme un choc. Je n'ai rien dit, ça aurait été incongru d'exprimer ma colère pour un mot de toute évidence banal, et je manquais d'argument. Mais je me suis sentie brusquement très triste. Ma grand-mère paternelle faisait de la confiture, et j'estime que qui n'a pas goûté à la confiture encore chaude en train de prendre n'a pas goûté à grand-chose de la vie. C'est elle qui m'a donné le goût de la cuisine. Il me semblait injuste d'attaquer ce met enfantin, doux, fabriqué pour faire plaisir, qui embaume la maison lorsqu'il cuit, par un diminutif aussi moche, même si je peux très bien me passer de confiture et que je n'aime pas le sucré. «Confiote» : il y a des mots qui abîment la bouche. Ce n'est pas le «con» qui me choque mais le «fiote». C'est un terme avilissant pour qualifier un homme de lâche : «fiote» ne convient à personne, c'est dégradant pour l'homme, et pour la confiture. On ne sait jamais quand un mot est déclencheur d'émotion, et comment il agit dans la mémoire. La confiture ne symbolisait ni ma grand-mère, ni mon enfance, ce mot n'était pas une partie pour le tout avant que le mot «confiote» ne surgisse et gâche un instant de bonheur. Aujourd'hui, je n'interdis pas qu'on le dise devant moi, et mon beau-fils me demande volo
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