Plus que les défilés organisés un peu partout en France à l’occasion de la Fête des travailleurs, une image restera de ce 1er mai 2024 : celle du candidat aux européennes Raphaël Glucksmann, obligé de fuir le cortège à Saint-Etienne avec son service d’ordre. Alors que la tête de liste Place publique-Parti socialiste explique avoir aperçu des drapeaux de la France insoumise parmi les manifestants qui l’ont invectivé, les insoumis continuent de rejeter en bloc ces accusations.
Que s’est-il passé ce mercredi 1er mai à Saint-Etienne ? Les militants étaient conviés à se retrouver à 10 heures devant la Bourse du travail, tout près du centre-ville. Lors de l’arrivée de Raphaël Glucksmann sur place, une quarantaine de minutes plus tard, les prises de parole syndicales étaient toujours en cours. Selon le récit et les images des médias présents (France Bleu, TL7, TF1-LCI et l’AFP), le député européen n’a même pas eu le temps de se mêler à la foule. Il a été rapidement apostrophé aux cris de «à bas le parti socialo», «P comme pourri et S comme salaud», ou encore «Glucksmann casse-toi, Sainté n’est pas à toi». Tandis que le candidat continuait à s’avancer, il a été ciblé par des projectiles remplis de peinture (rose, puis verte) et de canettes. Son service d’ordre a alors décidé de l’exfiltrer, Glucksmann et la délégation PS prenant la fuite par les rues voisines, toujours suivis par un groupe de manifestants.
Lors d’un point presse improvisé, l’eurodéputé n’a pas attribué cette action à une organisation en particulier, se contentant de mentionner la présence de «drapeaux de partis politiques, des drapeaux de la Révolution permanente et de la France Insoumise». Une déclaration qui a déclenché une vaste polémique sur l’implication de LFI.
«On était très nombreux à la voir diriger les jeunes militants vers nous»
De son côté, le numéro 3 sur la liste socialiste aux élections européennes, Pierre Jouvet, a affirmé auprès de France Bleu Drôme Ardèche avoir vu des «drapeaux palestiniens, [….] des drapeaux des Jeunes Communistes, [et] des drapeaux de la France insoumise». Pour sa part, Johann Cesa, premier secrétaire du PS dans la Loire, est allé jusqu’à mettre en cause la députée LFI de Saint-Etienne, Andrée Taurinya. En réponse à une publication sur X (ex-Twitter) où l’élue déplorait l’expulsion de Glucksmann, Johann Cesa l’a accusée d’en être à l’origine : «Vous l’avez pointé du doigt et mobilisé vos jeunes militants à agir de la sorte». Et d’ajouter sur France Bleu ce jeudi matin : «On était très nombreux à la voir diriger les jeunes militants vers nous. […] Il y a, en plus, un de ses adhérents qui était candidat aux élections législatives qui a assumé publiquement à la télévision». Un «mensonge», pour Andrée Taurinya, qui a dénoncé sur X des «propos diffamatoires», s’alignant ainsi sur les responsables insoumis, qui s’emploient à démentir toute forme de responsabilité dans l’éviction de Glucksmann.
Jean-Luc Mélenchon s’est en effet adressé directement à Glucksmann sur le réseau social : «Vous avez accusé LFI de votre expulsion […] Nous avons récusé. Vous et vos chefs du PS ont continué sur la base de vos accusations.» «Toutes les vidéos de la scène, comme les revendications des [Jeunes Communistes], montrent que les insoumis n’y sont strictement pour rien», a renchéri le député Adrien Quatennens. «Raphaël Glucksmann a menti puisque ceux qui ont revendiqué d’avoir expulsé M. Glucksmann de la manifestation, ce n’est absolument pas la France insoumise […] Ceux qui ont revendiqué, ce sont les Jeunes Communistes», a encore répété Mathilde Panot, présidente des députés insoumis, au micro de France info.
De fait, les Jeunes Communistes de la Loire (ou JC 42) se sont largement félicités, sur leurs réseaux sociaux, d’avoir empêché le candidat aux européennes de défiler. Sur X, ils ont partagé une vidéo filmée au moment de son arrivée face à la Bourse du travail, et supprimée depuis, montrant Glucksmann invectivé par un groupe de militants. Sur Instagram, en plus d’une story affichant le message «JC 42 : 1. Glucksmann : 0», en dessous d’une photo montrant une banderole «Glucksmann dégage !!!» ils ont écrit en légende d’une publication : «Raphaël Glucksmann a voulu s’inviter dans le cortège à l’occasion des élections européennes.» A CheckNews, un membre des JC 42 prénommé Arthur rapporte que son organisation avait «eu l’info par les médias locaux la veille» et donc «préparé une petite banderole» au cas où le candidat socialiste serait effectivement présent.
«On est revenus dans la manif et on s’est fait applaudir»
Arthur raconte l’arrivée de Glucksmann au niveau de la Bourse du travail : «On l’a vu arriver de loin, car il remontait la rue. Il a longé le cortège par l’extérieur pour essayer de se positionner dedans. Quand il est arrivé à notre niveau, on l’a chahuté. Mais les jets de peinture, ce n’est pas de notre fait.» Selon Arthur, les Jeunes Communistes, tout en étant «la seule orga à avoir revendiqué, à avoir assumé», ont bien été «suivis par d’autres» dans cette action : «C’était un mouvement assez collectif et spontané. On avait notamment un mégaphone, donc ça nous a permis d’impulser le truc. On ne voulait juste pas qu’il participe à la même manifestation que nous et on lui a fait comprendre. C’est bien possible qu’il y ait eu des manifestants de LFI, mais c’était assez hétérogène. Il y avait aussi des personnes du mouvement anarchiste, des propalestiniens, d’autres de plus petites orgas… Entre 150 et 200 personnes allaient dans le même sens, jusque dans une rue adjacente. Après avoir poussé Glucksmann hors du cortège, on est revenus dans la manif et on s’est fait applaudir.»
Un déroulé confirmé à CheckNews par d’autres organisations présentes, et parmi elles l’Organisation de Solidarité Etudiante OSE-CGT, qui a tenu dans une story postée sur Instagram à «féliciter la Jeunesse Communiste de la Loire et les manifestants pour avoir fait déguerpir Raphaël Glucksmann de la manifestation du 1er Mai». Judith Briat-Galazzo, secrétaire de l’OSE-CGT, explique qu’aux yeux de son syndicat, «il n’y avait pas sa place» dans la mesure où il s’est, entre autres, «affirmé comme un défenseur de la répression des étudiants mobilisés pour la Palestine». Et d’ajouter : «Au regard de ses prises de position et de son étiquette PS, des militants, affiliés ou non à des organisations, ont commencé à scander des slogans dénonçant sa ligne politique et sa présence ici. Mais il faut faire la différence entre les paroles véhémentes et les faits de violences. Ces faits n’ont pas été commis par des militants d’organisations politiques ou syndicales.» Egalement joint par CheckNews, Jean-Baptiste Imbert, de la fédération syndicale l’Union étudiante, indique que «les militants ayant pris part à cette éviction, hors Jeunes Communistes, ne l’ont fait sous aucune bannière». Lui-même était présent, «mais pas en tant que représentant de l’Union étudiante (aucun symbole apparent)».
Sur les images filmées par les médias qui ont suivi Glucksmann et son équipe dans les rues alentour, on aperçoit surtout des drapeaux palestiniens, quelques drapeaux cubains, plusieurs étendards des JC 42, dont un à l’effigie du militant communiste Georges Abdallah (condamné à la perpétuité pour assassinat). Dans certaines séquences, il est possible d’observer un drapeau portant le symbole de la France insoumise.
De son côté, l’antenne LFI de la Loire a assuré dans un communiqué qu’elle «n’a pas appelé à l’expulsion de Raphaël Glucksmann de la manifestation du 1er Mai à Saint-Etienne», et condamne «les jets de peinture et d’œufs qui ont pu avoir lieu».
«J’ai participé aux huées de la foule»
Néanmoins, au moins un militant LFI a pris part à l’action, d’après son témoignage diffusé sur LCI mercredi soir, et relayé sur X par la journaliste de Sud Radio Françoise Degois. «J’ai fait partie des gens qui ont expulsé [Raphaël Glucksmann] car on aime que les choses soient claires. […] Les imposteurs ne doivent pas faire partie de nos rangs. Après, on s’imagine qu’ils sont de gauche ou qu’ils défendent le peuple, alors que ce n’est pas le cas», expose ce manifestant. Lequel a rapidement été identifié : il s’agit de Lionel Jamon, qui était suppléant de la candidate (non élue) LFI-Nupes Marie-Paule Olive lors des dernières législatives. Toujours sur des images tournées par LCI-TF1, au moment du point presse de Glucksmann (de 1′42 à 2′18 dans cette séquence), on voit Lionel Jamon en fond, en train d’agiter les bras, muni d’un drapeau LFI, au milieu d’autres manifestants.
Interrogée à ce sujet par CheckNews, la boucle départementale France insoumise Loire 42 souligne : «Si un militant insoumis affirme avoir participé [à cette expulsion], cela ne peut être qu’à titre personnel et ne répond pas à une action de LFI Loire. La France insoumise compte régler ses différends politiques avec Raphaël Glucksmann dans les urnes le 9 juin. Par ailleurs, Lionel Jamon nous a fait parvenir cette précision qu’il souhaite adresser à la presse : “Oui, j’ai participé aux huées de la foule qui ont précédé la fuite de Raphaël Glucksmann. En aucun cas je n’ai fait preuve de violences.”»
A noter que Révolution permanente, autre mouvement cité dans un premier temps par la tête de liste aux européennes, n’était même pas présent à Saint-Etienne. La ville, d’ailleurs, ne figurait pas dans la liste des cortèges annoncés par Révolution permanente en amont du 1er Mai. «Nous avons demandé un démenti formel au Parti socialiste et à Place publique, confie à CheckNews un porte-parole du mouvement. Ils ont finalement sorti une communication qui choisit de mettre ça totalement sous le tapis, ce qu’on dénonce.» Quant aux personnes qui ont lancé des projectiles, elles apparaissent sans signe distinctif sur les images.
Dans un communiqué publié mercredi soir, Place publique ne désigne plus aucun responsable, se bornant à présenter «ces attaques» comme «le résultat de campagnes de calomnies qui abondent sur les réseaux sociaux ainsi que des fausses informations venues d’ingérences étrangères».