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Est-ce répréhensible par la loi d’utiliser une ligne téléphonique avec un nom d’emprunt, par exemple « P. Bismuth », comme par hasard ? et que risque l’utilisateur de cette « fausse » ligne ?

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publié le 27 octobre 2017 à 11h53

Question posée par colombeau le 15/10/2017

Bonjour,

Votre question fait référence à l'affaire «des écoutes», aussi appelée « Bismuth », qui concerne l'ancien président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog. Nous vous en résumions la teneur dans une précédente réponse.

L'usurpation d'identité est un délit

D'abord, «Le fait d'usurper l'identité d'un tiers ou de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende», selon l'article 226-4-1 du Code pénal.

L'emprunt par Nicolas Sarkozy et son avocat du nom de Paul Bismuth a-t-il été de nature à troubler la tranquilité de ce dernier? L'affaire a-t-elle porté atteinte à son honneur? Oui, affirme (le vrai) Paul Bismuth, tout en assurant qu'il ne porterait pas plainte.

D'autant que l'usurpation est qualifiée uniquement si elle a lieu «en vue de», c'est à dire avec pour objectif de nuire. Ce n'est pas le cas, selon les propos rapportés de Thierry Herzog par Paul Bismuth: l'avocat aurait utilisé «le premier nom qui [lui] est passé par la tête».

A noter toutefois que «le fait de prendre le nom d'un tiers dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende», selon l'article 434-23 du Code pénal relatif aux entraves à l'exercice de la justice.

Il est interdit de prendre un autre nom que le sien dans un document administratif

Ensuite, l'article 433-19 du Code pénal «puni[t] de six mois d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende le fait, dans un acte public ou authentique, ou dans un document administratif destiné à l'autorité publique, et hors les cas où la réglementation en vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil d'emprunt: de prendre un nom ou un acessoire du nom autre que celui assigné par l'état civil ; de changer, altérer, ou modifier le nom ou l'accessoire du nom assigné par l'état civil.»

L'ouverture d'une ligne téléphonique (mobile, dans le cas de l'affaire qui nous préoccupe) est-elle un acte «public ou authentique»? Il incombe en tout cas aux opérateurs de conserver «pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales : les informations permettant d'identifier l'utilisateur [...] » (article R10-13 du Code des postes et des communications électroniques).

Sur internet comme en boutique, les opérateurs Orange, Bouygues, SFR et Free sont donc tenus de demander une pièce d'identité à toute personne faisant une demande d'ouverture de ligne. Mais les vendeurs de carte SIM prépayées (buralistes, épiciers, etc.) sont parfois moins scrupuleux. Comment l'avocat de Nicolas Sarkozy a pu ouvrir une ligne au nom de Paul Bismuth? Disposait-il d'une pièce d'identité de l'intéressé? Y a-t-il eu un manquement du côté de la boutique où la ligne a été ouverte? L'enquête le dira peut-être.

Notons toutefois que le «vrai» Paul Bismuth, dans une tribune publiée par Mediapart, racontait comment il avait dû renoncer à acheter une carte prépayée à son nom. Le vendeur ne le croyait pas... «Quand je suis passé récemment une semaine en France avec mon fils, j'ai voulu acheter une carte téléphonique. Dans le magasin, quand j'ai dû donner mon nom au vendeur, il m'a répondu : « ça va, on me l'a déjà faite celle-là ! » J'ai eu beau insister, j'ai dû renoncer. Et prendre une carte au nom de mon fils».

Ces infractions sont marginales à l'affaire

L'emprunt de faux noms pour ouvrir une ligne et discuter à l'abri des oreilles policières et judiciaires est un classique. Le Monde a d'ailleurs révélé que dans son réquisitoire, le parquet national financier (PNF) compare les méthodes du duo Herzog-Sarkozy à celles de «délinquants chevronnés». Le Canard Enchaîné a aussi révélé que les deux hommes n'en étaient pas à leur coup d'essai: «Avant Bismuth, il y eut un toc [téléphone occulte] au nom de «Gilda Atlan», suivi de plusieurs autres «Bismuth» que les deux comères balançaient tous les trois mois environ», écrit le palmipède du 11 octobre dernier.

Cependant, la question de l'usurpation d'identité, ou celle de l'usage d'un faux nom dans un document administratif ne semblent pas être au cœur des préoccupations des enquêteurs. Dans son réquisitoire, le parquet s'intéresse d'abord aux délits de«trafic d'influence» et de «corruption». Deux infractions pouvant être respectivement punies de 5 à 10 ans d'emprisonnement, et de 500 000  à 1 million d'euros d'amende.

Fabien Leboucq

Réponse publiée le 27 octobre 2017