Question posée par @bembelly le 03/11/2017
Bonjour cher Bembelly.
Votre question fait suite à un article d'Arrêt sur images intitulé : "A Libération, interdiction de troller Patrick Drahi sur Twitter". L'article fait état d'un mail adressé le 30 noctobre à l'équipe de Libé par Johan Hufnagel, alors numéro deux de Libé. Il y écrivait :
"<em>Merci d'arrêter de régler vos comptes avec Altice sur Twitter. Si vous avez des problèmes avec les communications internes du groupe, il y a des instances représentatives pour ça. Merci</em>"
Comme le raconte ASI, le mail faisait notamment suite à plusieurs tweets de journalistes de Libé, réagissant à la présentation, le 18 octobre, de la stratégie du journal par le directeur d'Altice Media, Alain Weill. Contrairement à ce que le titre d' ASI suggère, il n 'était pas directement question de Patrick Drahi. Les journaistes avaient moqué le terme digital first (nom de la stratégie proposée à Libé), le statut de "collaborateur" mentionné sur les nouveaux badges des journalistes pour accéder au nouveau bâtiment de Libé, ou encore les plaquettes de com interne trouvées sur les bureaux rappelant les valeurs d'Altice.
Par ailleurs, Johan Hufnagel (le jour de son départ de l'entreprise) s'est à nouveau exprimé sur le sujet sur Twitter, réagissant à votre tweet annonçant votre question. A celle-ci ("est-il interdit aux journalistes de troller le Boss Patrick Drahi sur Twitter?") il a répondu :
Je la fait courte, la réponse est non, on peut troller Patrick Drahi, dans les limites de l'ironie. Injurier non, en revanche, on peut pas.
Voici l'échange.
Au delà de ces expressions récentes (et informelles), les salariés signataire d'un CDI à Libération sont engagés depuis 2014 par une "clause de discrétion", exigeant ne pas dénigrer son entreprise. Il est fait mention de "la société", mais pas de l'actionnaire.
Pendant la durée du présent contrat, le Salarié s'interdit de participer directement ou indirectement de quelque manière et à quelque titre que ce soit, à toute affaire ou activité susceptible de concurrencer celle de son employeur. Pendant ou après l'exécution du présent contrat de travail, le Salarié devra se considérer comme lié par une obligation de discrétion absolue en ce qui concerne toutes les informations et tous les renseignements confidentiels dont il pourrait avoir connaissance dans le cadre de son activité au sein de LIBÉRATION.
Pendant la durée du présent contrat, le Salarié s'engage à ne pas tenir des propos de nature à porter atteinte à l'image de la Société Libération, à ses activités, sa direction ou son personnel. Le Salarié s'interdit tout propos pouvant être interprété comme un dénigrement de la Société.
La Société rappelle au Salarié que l'expression publique de la liberté d'opinion des journalistes ne doit en aucun cas porter atteinte aux intérêts de la Société, conformément à l'article 3B de la Convention collective nationale des journalistes du 27 octobre 1987 ».
Tout manquement à cette obligation au cours du contrat pourrait constituer une faute grave pouvant justifier un licenciement
Cette clause a été ajoutée en 2014 (et concerne donc les CDI signés depuis cette date), à la suite du bras de fer qui avait opposé l'équipe de Libération à son actionnaire, Bruno Ledoux. A l'époque, cette lutte s'était notamment traduite par la création des page « Nous sommes un journal », où s'exprimaient, au sein du journal, les colères, doutes et craintes des salariés.
L'article 3b de la convention collective des journalistes auquel renvoie la clause est ainsi formulé : "Les organisations contractantes rappellent le droit pour les journalistes d'avoir leur liberté d'opinion, l'expression publique de cette opinion ne devant en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l'entreprise de presse dans laquelle ils travaillent"
C'est cet article qu'avait brandi la direction du Monde en 2003 pour licencier Daniel Schneidermann, qui le raconte, ici.
Cordialement
C.Mt