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Bonjour. A la suite d'un tweet polémique de Thierry Mariani, peut-on affirmer que l’Etat français procède, directement ou indirectement, à l’élimination de djihadistes français en Irak ou en Syrie?

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publié le 16 novembre 2017 à 7h46

Question posée par Dimitri le 03/10/2017

Bonjour,

Dans son tweet, l'ancien député et ministre Les Républicains Thierry Mariani affirme que «Si on est vraiment en guerre, le seul moyen de se protéger définitivement des djihadistes dits « Français » est de les éliminer avant leur retour».

Si on est vraiment en guerre,le seul moyen de se protéger définitivement des djihadistes dits"Francais"est de les éliminer avant leur retour

L'Etat français procède-t-il ou participe-t-il à de telles éliminations? La réponse tendrait plutôt vers l'affirmative. Mais il est difficile pour un pays de reconnaître avoir exécuté sans les juger ses ressortissants partis faire la guerre à l'étranger. Quand cette question se pose pour des personnes identifiées comme «terroristes», la plupart des puissances se réfugient derrière l'article 51 de la charte des Nations unies, qui dispose qu'il existe pour les pays «un droit naturel de légitime défense», dans le cas d'une agression armée contre eux.

Dès 2015, la question de la légitimité et de la légalité de telles actions se posaient. Certains des premiers bombardements français sur la Syrie visaient des combattants venus de l'Hexagone, selon le Journal du Dimanche. Mais ce type d'opération laisse toujours place au doute. Difficile d'affirmer avec certitude quelle était réellement la cible des bombes.

Une certitude en tout cas: les renseignement français tiennent le compte des ressortissants qui ont été tués sur place, et le chiffre est régulièrement communiqué, de manière officielle ou non, dans la presse. Le dernier décompte, communiqué par Laurent Nunez, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), au Figaro faisait état de 281 français «présumés morts», au 12 novembre 2017. Sans qu'on sache dans quel cadre ils ont été tués et par qui.

Désignation de cibles

Une enquête du Wall Street Journal parue en mai 2017 précise les contours de la stratégie militaire de la France contre ses nationaux devenus djihadistes à l'étranger. L'élimination serait sous-traitée, et les militaires français se contenteraient de donner les informations à leurs alliés aux prises avec l'ennemi.

Cans le cadre de l'opération Chammal, 1200 soldats français sont déployés sur le théâtre irako-syrien. «Les troupes françaises travaillent dans le cadre d'une coopération rapprochée avec leurs partenaires irakiens et internationaux», commente le ministère des Armées auprès du Wall Street Journal.

Mais plusieurs sources anonymes, irakiennes et françaises, confirment au quotidien américain que la France a pour objectif, entre autres, d’empêcher que ses ressortissants ayant rejoint l’EI n’en réchappent. Une liste de trentaine de noms de cibles auraient été fournies aux alliés irakiens.

<em>Une quarantaine de membres des forces spéciales françaises sont en charge des outils de collecte d'information, comme les drones de surveillance, ou des appareils d'interception des communications radios, pour aider à localiser les combattants, précise un haut responsable du contreterrorisme irakien.</em>

<em>«Ils s'en occupent ici car ils ne veulent pas avoir à faire à eux à la maison », explique un haut responsable du contreterrorisme irakien directement impliqué dans la coordination avec les forces spéciales françaises.</em>

«Neutralisation»

Pour partie, les renseignements extérieurs procèderaient de la même manière, en donnant des informations à leurs alliés... Mais pas seulement, puisqu'il leur arriverait d'intervenir directement. En mai 2016, devant une commission parlementaire chargé d'évaluer les moyens français contre le terrorisme, Bernard Bajolet, le directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) expliquait:

<em>Depuis janvier 2013, mon service a contribué à la conception, à la planification et à la conduite de soixante-neuf opérations d'entrave de la menace terroriste [dont ] cinquante et une opérations ont eu lieu afin de réduire la menace terroriste, c'est-à-dire faire arrêter des gens, déjouer des projets ou mettre des terroristes hors d'état de nuire. Ces opérations ont eu lieu dans les régions suivantes, par ordre décroissant: l'Afrique subsaharienne, la zone afghano-pakistanaise, la corne de l'Afrique, la Syrie, l'Europe, la Libye et l'Égypte. </em><strong><em>Pour présenter ces mêmes chiffres sous un autre angle, notre rôle a consisté à transmettre des renseignements à nos partenaires pour leur permettre de déjouer les attentats dans vingt-neuf cas, et, dans quarante opérations, nous avons directement contribué à la mise en œuvre de celles-ci.</em></strong>

Interrogé sur la définition que la DGSE donne au fait de mettre «hors d'état de nuire» une personne, Bernard Bajolet répond que cela consiste à «neutraliser par des arrestations ou d'autres moyens». Sans en dire plus. Impossible de savoir exactement, à la lecture de cette audition, si des djihadistes français en Syrie ou en Irak ont été visés par certaines des 40 opérations d'entrave de la menace terroriste menées directement par la DGSE. Pas plus qu'il n'est dit explicitement si certaines de ces opérations consistaient en des éliminations.

De son côté cependant, le journaliste Vincent Nouzille, affirme qu'en trois ans, les renseignements extérieurs et l'armée française ont été impliqué directement ou indirectement dans une quarantaine d'assassinats ciblés. Dans son livre Erreurs fatales paru début 2017, il écrit:

<em>Selon nos sources, au moins une quarantaine de HVT [High Value Taget, cibles de haute priorité] ont été exécutées à l'étranger entre 2013 et 2016, soit par les armées, soit par la DGSE, soit encore, plus indirectement, par des pays alliés sur la base de renseignements fournis par la France. Cela représente environ une opération par mois – un rythme jamais vu depuis la fin des années 1950, à l'époque de la guerre d'Algérie.</em>

Parmi ces quarantaines d'exécutions, impossible de savoir combien ont été opérées par la France, et combien visaient des djihadistes français

Assassinats?

Mais la France mènerait bien des exécutions elle-même. C'est en tout cas ce que laisse entendre l'ancien chef de l'Etat François Hollande, dans le livre d'octobre 2016 Un Président ne devrait pas dire ça. Interrogé par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, le président socialiste reconnaît avoir autorisé «au moins» quatre opérations «homo» (pour homicide). Comprendre: des assassinats ciblés. Apparemment pris de regrets, selon les auteurs, François Hollande fait machine arrière lors d'un entretien postérieur: «On ne donne pas des autorisations de tuer. On dit : "Chassez autant qu'il est possible les terroristes, placez des balises, et puis à un moment, si vous les trouvez, vous les neutralisez."» Sans entrer dans le détail de ce qu'il entend par là.

Fabien Leboucq

Réponse publiée ple 15 novembre 2017