Question posée par le 01/12/2017
Bonjour,
Vous faites référence à un passage, survenu un peu avant 1h30 d'émission, où Jean-Luc Mélenchon échange avec l'auteure Laurence Debray. Ils débattent de la situation au Venezuela, et elle l'interroge sur sa position vis à vis du régime chaviste de Nicolas Maduro: «Vous imaginez en France une loi sur la haine qui suppose que n'importe qui attise la critique du gouvernement peut atterrir en prison ?»
Avant même la fin de la question, on peut entendre Jean-Luc Mélenchon, passablement agacé, qui marmonne: «Franchement... tout ça sont des inventions et des mensonges.» Avant de se tourner vers la journaliste Léa Salamé qui anime l'échange: «Je dois répondre à ça moi ?»
Qu'il réponde ou non, la «loi contre la haine» n'est pas une invention. Même si son nom complet est un peu moins anxiogène, et que son contenu n'est pas tout à fait aussi simple que ce dit Laurence Debray, le texte est suffisament évasif pour être intérpréter comme elle le fait.
Comme le rapporte la télévision panaméricaine (et détenue notamment par l'Etat vénézuélien) Telesur, «La loi constitutionelle contre la haine pour la cohabitation pacifique et la tolérance, qui a été approuvée par l'Assemblée nationale constituante du Venezuela, est entrée en vigueur», jeudi 10 novembre 2017.
Cette loi est composée de 25 articles. Le premier résume l'objectif du texte:
<em>Contribuer à générer les conditions nécessaires pour promouvoir et garantir la reconnaissance de la diversité, la tolérance, et le respect réciproque, mais aussi pour empêcher et erradiquer toute forme de haine, de mépris, de harcèlement, de discrimination, de violence, et afin d'assurer que les droits de l'homme soient respectés, de favoriser le développement individuel et collectif de la personne, de préserver la paix et la tranquilité publique et de protéger la Nation.</em>
S'ensuit une litanie de valeurs à respecter, et un certain nombre d'articles favorables à la paix sociale, quoiqu'assez peu précis sur les moyens d'y arriver. Vient ensuite l'article 11 :
<em>Les partis et organisations politiques dont les déclarations de principes, les actes constitutifs, les programmes d'action politique, les statuts ou les activités se fondent ou promeuvent le fascisme, l'intolérance ou la haine nationale, raciale, ethnique, religieuse, politique, sociale, idéologique, genrée, liée à l'orientation sexuelle [...] ne pourront être inscrits ou reconnus par le Conseil national électoral.</em>
Conséquence pour les partis incriminés: ils ne pourront pas participer au jeu politique sur un pied d'égalité avec les autres partis. Les mouvements politiques sont dans l'obligation d'appliquer ce texte à leurs structures internes, et à leurs adhérents.
L'article 14 quant à lui, sanctionne la diffusion de messages qui «promeuvent la haine» sur les réseaux sociaux.
Sanctions
Le cinquième et dernier chapitre de la loi édicte les sanctions pour les contrevenant.e.s.:
Dix à vingt ans pour celui ou celle qui promeut la haine, la violence, la discrimination contre des personnes pour leur appartenance réelle ou supposée à certains groupes sociaux, politiques.
Les médias, eux, peuvent perdre leur autorisation d'émettre s'ils commettent les mêmes délits.
Une publication qui n'est pas supprimée sur les réseaux sociaux rend son auteur responsable au bout de six heures, et est passible d'amendes financières.
Les émetteurs et prestataires de services sont quant à eux contraints de participer à émettre les messages de paix et de tolérances, et peuvent être sanctionnés par des amendes à hauteur de 4% de leurs revenus bruts.
Les fonctionnaires seront sanctionnés s'ils n'interviennent pas au plus vite après la constatation d'une infraction, sauf à prouver que leur vie est menacée par une telle intervention.
Enfin, l'article 25 explique en deux lignes que ces faits sont «imprtescriptibles car il s'agit de violations graves des droits de l'homme».
La loi contre la haine n'est donc pas une invention. Dire qu'elle peut conduire en prison si l'on critique le gouvernement n'est pas forcément très éloigné de la réalité, puisque d'une part, le texte reste assez évasif quant à la définition des messages de «fascisme», d'«intolérance» et de «haine» qu'il sanctionne. Et d'autre part, parce que cette loi crée, pour surveiller l'application de ces directives, une «Comission pour le vivre-ensemble pacifique», composée pour l'essentiel de membres du gouvernements et de l'Assemblée constituante, acquise au régime chaviste.
Fabien Leboucq