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Y'a-t-il vraiment des "vols" d'enfants organisés en Allemagne ?

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publié le 18 décembre 2017 à 14h28

Question posée par le 16/12/2017

Bonjour,

Vous souhaitez savoir si des "vols" d'enfants organisés ont lieu en Allemagne et accompagnez votre question d'un article publié en avril 2016 par le site pro-russe Novorossia Today, aux allures de réquisitoire contre une administration allemande: le Jugendamt.

Dans ce texte, le journaliste Olivier Renault (qui écrit pour de nombreux sites pro-russes ainsi que pour le site d'extrême-droite Ripostelaique.com) accuse l'état allemand de voler toujours plus d'enfants dans la violence et ce bien évidemment "dans l'indifférence totale des média et des élites européennes". A plusieurs reprises, il compare les actions du Jugendamt, cette administration publique chargée de la protection de la jeunesse, à "une violence digne des films sur la Gestapo ou sur la Stasi". Il appuie son argumentation sur le cas précis d'un enfant Tobias Kucharz, 12 ans, enlevé à sa mère parce qu'il serait atteint d'une "maladie imaginaire", l'ADS. Celle-ci lui aurait été diagnostiquée par des psychologues et des enseignants pour le voler à sa famille. Olivier Renault emploie des vidéos où il filme d'autres vidéos (ce qui pique les yeux) montrant l'arrestation du jeune Tobias. Il estime aussi que:

"Plus de 400 enfants sont retirés par jour en Allemagne à leurs parents dans la violence par la police et le Jugendamt ! Le Jugendamt avec la police écrase des milliers de vies, détruisent des familles, tuent des enfants et des parents !"

Qu’est-ce que le Jugendamt?

Le Jugendamt est l'interlocuteur central pour les enfants, les jeunes et les familles. Il a été créé par la loi générale de protection de la jeunesse du Reich ein 1922, pour réunir les responsabilités , les tâches et les prestations en lien avec les enfants, les jeunes et les familles en une seule administration.

Ses missions sont diverses: accompagnement des familles, protection des mineurs, adoption, mise sous tutelle des enfants, conseils familiaux, recouvrement des impayés, etc. Dans le cas du jeune Tobias, Oliver Renault note:

Tobias a manqué à plusieurs reprises l'école. Tobias se sent mal traité par les autres enfants à l'école et préfère apprendre à la maison. Les psychologues et les enseignants ont déclaré Tobias atteint d'une maladie nommé ADS (maladie imaginaire). Son enseignante a signalé le comportement de la famille au Jugendamt. Tobias serait un enfant agité qui n'arriverait pas à se concentrer en cours. Voilà la raison de l'intervention de la Polizei et du Jugendamt ce 21 avril 2016 vers 20 heures chez lui.

En Allemagne, l'école est obligatoire jusqu'à 15 ou 16 ans selon les Länder. Si un enfant manque trop souvent l'école, ou si les enseignants remarque que ses parents ne s'occupent pas bien de lui (soit en l'envoyant en classe sans petit-déjeuner ou avec des vêtements non adéquats, ou soit en ne prenant pas compte de ses maladies) alors ils peuvent prévenir le Jugendamt, qui peut décider d'intervenir. Dans le cas du jeune Tobias, les enseignants et des psychologues auraient diagnostiqué qu'il est atteint d'ADS (Aufmerksamkeits-Defizit-Syndrom), soit des troubles du déficit de l'attention. Voyant que sa famille ne réagissait pas et n'envoyait pas son enfant à l'école, le Jugendamt a décidé d'intervenir en retirant l'enfant à sa mère.

Combien d’enfants sont enlevés par Jugendamt chaque année à leur famille?

Selon les données de l'Office fédéral des Statistiques (Statistisches Bundesamt), 82 240 enfants ont été pris en charge par le Jugendamt en 2016. C'est un chiffre en nette augmentation depuis plusieurs années, comme l'indique ces données montrant l'évolution des mesures de protection du Jugendamt depuis 2013.

Attention à ne pas les interpréter trop vite. Si le nombre d'enfants, pour lesquels le Jugendamt est intervenu, a doublé entre 2013 et 2016, c'est principalement dû au nombre important d'enfants étrangers non accompagnés qui sont arrivés sur le territoire allemand. En 2016, sur les 84 230 enfants pris en charge par le Jugendamt, 44 935 étaient des migrants non accompagnés, le plus souvent âgés de 14 à 17 ans.

Les médias allemands taisent-ils les actions du Jugendamt?

Dans sont texte, l'auteur accuse les médias de faire preuve d'indifférence totale à l'égard de ce qu'il appelle des "vols". Sauf que le journal le plus lu en Allemagne, le tabloïd Bild a traité le cas du jeune Tobias l'année dernière. Il avait alors interviewé la mère de l'enfant et diffusé les images violentes de l'intervention de la police qui retire l'enfant de 12 ans en pleurs de sa famille. Dans son article, le journal allemand rappelle qu'en 2011, la famille Kucharz avait bénéficié du soutien familial du Jugendamt. Qu'en 2014, le jeune Tobias (alors âgé de 10 ans) avait temporairement vécu dans un foyer avant de pouvoir revenir dans sa famille. Enfin, Bild contextualise l'histoire:

Le 20 avril, le tribunal des familles de Kaiserslautern hat décidé  que le Jugendamt obtient en particulier le droit de déterminer le domicile de Tobias. La raison: depuis un an, Tobias ne se rendait que très rarement à l'école. "L'école était trop dure pour lui car il ne pouvait pas se concentrer", raconte sa mère Brigitte. Le garçon devait être placé dans un établissement, selon le jugement.

En ce qui concerne la couverture médiatique des enfants retirés à leur familles par le Jugendamt, on vous laisse juger par vous-même s'ils ne sont pas assez mentionnés par la presse allemande.

Les dérives du Jugendamt

Mais le Jugendamt n'a pas forcément bonne presse. Cette administration allemande est très souvent critiquée et a même été condamnée à plusieurs reprises par la cour européenne des droits de l'homme dans des affaires de divorces, que ce soit par des pères allemands qui ne peuvent plus voir leurs enfants, que par des parents non-allemands qui perdent aussi leur droit de visite. En cas de divorce, le Jugendamt donne très souvent priorité au principe de sauvegarde de l'enfant, et décide qu'il faut maintenir l'enfant sur son lieu de socialisation, c'est à dire l'Allemagne. Craignant que les enfants ne soient enlevés par leur parent non-allemand, ces derniers perdent alors leur droit de visite.

Cordialement,

Jacques Pezet

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