Question posée par Dhouha Ben Mustapha le 17/01/2018
Bonjour,
Occupant également un poste de journaliste de fact-checking dans le média allemand Correctiv.org, vous avez de la chance, c'est moi, Jacques Pezet qui vous répond sur ce sujet que je connais très bien puisque j'ai aussi signé un article publié dans Libération en février 2017 et où je posais la question «Pourquoi l'Allemagne ne cède-t-elle pas à la mode du «fact-checking» ?».
J'y écrivais que contrairement à la France, où le genre s'est imposé, le fact-checking occupait une place plutôt minime dans le paysage médiatique allemand. Cette analyse s'appuyait sur le nombre de médias tenant ou ayant tenu une rubrique dédiée (le Spiegel, Zeit-Magazin et la chaîne de télévision ZDF), sur la périodicité de ces rubriques (uniquement en période électorale pour Zeit-Magazin et ZDF, et plus régulièrement avant de s'effondrer pour le Spiegel) et sur le témoignage des journalistes en charge de ces rubriques qui notaient que les médias allemands consacraient rarement des rubriques à ce format, que la vérification était le plus souvent implicite mais aussi que les politiciens allemands étaient plus difficiles à coincer. Ce dernier point était lié à absence de véritable culture politique d'opposition comme en France ou aux Etats-Unis (les Allemands étaient alors plutôt contents d'avoir des grandes coalitions) et aussi d'une culture du ne rien dire de la part de chancelière Angela Merkel, qui échappe ainsi aux filets du fact-checker.
Voilà donc où on en était en février 2017. Puis l'arrivée de l'inquiétude des «fake news» s'est développé en Allemagne, qui craignait une immiscion d'acteurs étrangers (et plus précisément russes) dans sa campagne électorale. Une dizaine de projets de fact-checking ont vu le jour, comme je l'ai noté dans l'article «Elections en Allemagne : la guerre du «falsch» n'a pas eu lieu» publié à la fin de la campagne législative en septembre 2017 et dont je vous recommande la lecture..
A partir du mois d'avril 2017, j'ai intégré Echtjetzt, l'équipe de fact-checking qui s'est créée à Correctiv.org. J'ai donc suivi et observé, comme de nombreux confrères allemands, le développement de fausses informations partagées en Allemagne, et que j'ai bien évidemment pu comparer leur équivalent en France ou aux Etats-Unis. Si le sujet a été traité par les médias allemands, prêts à voir apparaître la veille de l'élection des #Merkelleaks semblables aux #Macronleaks, cela n'a pas été le cas. Tous les médias allemands, fact-checkers inclus, s'accordent pour dire qu'il n'y a pas eu de tsunami de «fake news» en Allemagne, comme ce fut le cas ailleurs. Les fausses informations partagées principalement par l'extrême-droite concernait plus le sujet des migrants que l'élection en elle-même. Enfin contrairement à 2013, où la majorité des équipes de fact-checking avait tiré le rideau après l'élection, plusieurs médias continuent de publier des contenus dans leurs rubriques de fact-checking.
En l'absence de «fake news» notables, il est difficile de déclarer que le fact-checking a échoué en Allemagne. Aussi, s'il est nécessaire de le répéter, le fact-checking n'a pas pour objectif de lutter contre tel ou tel autre parti, mais uniquement d'informer les électeurs de la véracité des discours auxquels ils sont confrontés. Enfin on notera, que ce soit en France comme en Allemagne, que le travail des fact-checkers n'a pas infirmé les sondages ou les analyses des commentateurs qui prévoyaient un Front National au second tour ou l'entrée de l'AfD au Parlement.
Cordialement,
Jacques Pezet