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Gallimard a renoncé à publier les pamphlets antisémites de Céline. En avait-il le droit ?

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publié le 19 janvier 2018 à 9h11

Question posée par Patrice le 12/01/2018

Bonjour,

Gallimard a effectivement annoncé, le 11 janvier, la «suspension» de son projet de publication des pamphlets antisémites de Céline, après plusieurs semaines de polémique. La maison d'édition avait été interpellé par le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT. Le recueil devait réunir Bagatelles pour un massacreL'Ecole des cadavres et Les Beaux Draps, tous trois écrits entre 1937 et 1941et non réédités depuis à la demande de Céline lui-même.

Dans le communiqué expliquant sa décision, le PDG de la maison d'édition, Antoine Gallimard invoquait sa « liberté d'éditeur » et sa «sensibilité à [son] époque», en estimant que «les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour envisager sereinement» ce projet de réédition. «Les pamphlets de Céline appartiennent à l'histoire de l'antisémitisme français le plus infâme. Mais les condamner à la censure fait obstacle à la pleine mise en lumière de leurs racines et de leur portée idéologiques, et crée de la curiosité malsaine, là où ne doit s'exercer que notre faculté de jugement», estime l'éditeur. Mais, ajoute-t-il, «je comprends et partage l'émotion des lecteurs que la perspective de cette édition choque, blesse ou inquiète pour des raisons humaines et éthiques évidentes». Dans le même communiqué, il n'abordait en revanche, à aucun moment, l'aspect légal.

Et pour cause : il n'est pas illégal, en France, de publier les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline. Ce qui est illégal, c'est de le publier sans avertissement. C'est ainsi dans le droit français, et ce depuis une décision de 1979 de la Cour d'appel de Paris ordonnant la publication d'un avertissement au lecteur dans les traductions de Mein Kampf publiée sur le territoire de la République Française. Un avertissement de plusieurs pages, détaillant les atrocités du régime nazi, et se terminant ainsi : « Le lecteur de Mein Kampf doit donc se souvenir des crimes contre l'humanité qui ont été commis en application de cet ouvrage, et réaliser que les manifestations actuelles de haine raciale participent de son esprit ». Avant de revenir sur sa décision de ne pas publier les écrits contestés de Céline, Gallimard avait prévenu qu'il respecterait cette loi, et que son intention était d' « encadrer et de replacer dans leur contexte des écrits d'une grande violence, marqués notamment par la haine antisémite de l'auteur ». L'éditeur avait aussi précisé que l'appareil critique et l'avertissement seraient écrits par Régis Tettamanzi, un spécialiste de l'oeuvre célinienne, professeur à l'université de Nantes.

Droit à la propriété intellectuelle, mode d'emploi

Le plus gros obstacle légal pour Gallimard était en réalité ailleurs : après la Libération, après avoir été condamné à un an de prison, 50 000 francs d'amende, la confiscation de la moitié de ses biens et à l'indignité nationale, Louis-Ferdinand Céline, en vertu du droit à la propriété intellectuelle, avait exigé que ses oeuvres pamphlétaires ne soient plus jamais publiés. A sa mort, en 1961, comme le rappelle France Culture, ce sont ses ayants-droits qui sont devenus responsables de ses oeuvres. Et pendant plusieurs dizaines d'années, la veuve de Céline, Lucette Destouches, a respecté le souhait de son ex-mari, avant de changer d'avis et de permettre à Gallimard de republier les textes.

Cordialement

Robin A.