Question posée par Jacques le marcheur le 23/01/2018
Bonjour,
Le transfert en location-gérance de cinq hypermarchés Carrefour, prévu dans le plan d’économies annoncé par la direction du groupe de grande distribution va effectivement impacter les salariés transférés, qui pourraient perdre plusieurs avantages liés à la convention d’entreprise.
Selon un document interne rédigé par la direction, et que Libération a pu consulter, cette perte, qui concerne par exemple les tickets-restaurants, l'intéressement, les «remises sur achats», la prévoyance ou encore une partie de la mutuelle, pourrait se chiffrer à 1,17 mois de salaire par an. Soit 22 353 euros annuels, au lieu de 24 173 euros, pour un employé de niveau 2B. Selon certains syndicats, cependant, la perte avoisinerait plutôt les 2 mois de salaires, la direction ayant «oublié», dans son calcul, plusieurs éléments comme une partie de la majoration des dimanches, la rémunération partielle des RTT, la baisse des remboursements santé, ou encore la fin de la totalité de la participation, fort probable en cas de location-gérance.
Reste que si les salariés transférés risquent probablement de perdre ces avantages en sortant du groupe Carrefour, cela n’a pas grand-chose à voir avec Emmanuel Macron. La loi prévoit qu’en cas de cession d’une entreprise, les employés transférés conservent les avantages liés à l’ancienne société (tickets-restaurants, mutuelle…) pendant au moins 15 mois, durant lesquels un nouvel accord doit être négocié. En cas d’échec des négos, les salariés perdent alors leurs avantages à l’issue de ce délai. Ce qui menace les salariés de Carrefour. Mais cette règle préexistait à la «loi Macron» ou même à la loi El Khomri de 2016.
Concernant les droits des salariés, seuls deux changements, ténus, tiennent à la loi Travail de 2016. Lors du transfert des salariés d'une entreprise à un repreneur, si aucun nouvel accord d'entreprise ne vient prendre le relais au sein de l'entreprise acheteuse, les salariés, avant la loi d'août 2016, voyaient maintenus au minimum «les avantages individuels qu'ils ont acquis». Depuis la loi El Khomri, ce qui est conservé en cas d'absence de nouvel accord, c'est «la rémunération, dont le montant annuel […] ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des douze derniers mois». La différence ? «Difficile à dire, car les deux notions sont proches, la plupart des avantages individuels acquis entrant dans la rémunération annuelle, explique l'avocat en droit du travail Emmanuel Mauger. Il faut attendre de voir ce que dira la jurisprudence, mais il est vrai qu'il y a un petit resserrement juridique de la notion». Par ailleurs, point positif, la loi El Khomri permet de négocier et de signer un nouvel accord, dit d' «adaptation», entre les syndicats et l'acheteur, mais aussi avec le vendeur, c'est-à-dire en amont de la cession, ce qui permet d'anticiper la négociation et d'impliquer davantage le vendeur.
Quant au 13e mois de Carrefour, évoqué dans votre question, il pourrait effectivement être supprimé en raison de la loi Macron, mais cela n’a rien à voir avec le transfert d’entreprise. Relevant de la branche (et non pas de la convention d’entreprise), il peut être désormais renégocié par un accord d’entreprise. Mais cette possibilité de remettre en cause cet acquis de branche par simple accord d’entreprise, ouverte par les ordonnances Pénicaud d’octobre 2017, pourra concerner les salariés transférés dans le cadre de la location-gérance comme les salariés restant intégrés à Carrefour, si le groupe de distribution décide de renier cet avantage et trouve des syndicats majoritaires prêts à signer.
En réalité, si les ordonnances Pénicaud viennent modifier les règles sur le transfert d’entreprises, c’est sur un tout autre point que celui évoqué. Avant la réforme d’octobre 2017, il n’était pas possible, pour le vendeur, de procéder à un plan de licenciements pour raisons économiques avant la cession. C’est désormais possible. Autrement dit, le vendeur pourrait être tenté de dégraisser afin de «rendre la mariée plus belle».
Luc Peillon