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Comment sont encadrés les «ménages» des journalistes de France Télévisions ?

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publié le 19 février 2018 à 8h38

Question posée par Ebethuys le 10/02/2018

Bonjour,

On entend par «ménages» les prestations rémunérées réalisées par des journalistes qui mettent leur notoriété au service d'une marque, ou pour l'animation de débats en tous genres.

Il y a eu, au sein du service public, plusieurs célèbres exemples de «ménages». En 2009, par exemple, Sophie Davant était filmé par Le Petit Journal en pleine promotion d'une voiture Peugeot, au beau milieu du Salon de l'automobile. Il y eut aussi, en 2009, le «MickeyGate». Accusé d'avoir interviewé Mickey sur le plateau de Roland Garros, quelques jours après avoir fait un ménage à Disneyland, Nelson Monfort s'était défendu en déclarant qu'il n'avait pas touché d'argent lors de son apparition à Disneyland.

Dans un communiqué, publié dans la foulée, intitulé «Il est temps de faire le ménage» les SNJ de France 3 et de France Télévisions tiraient la sonnette d'alarme après «l'affaire Mickey» : «C'est hélas une réalité : aucune rédaction de France Télévisions n'échappe aux ménages», pouvait-on lire dans ce tract, qui invoquait la charte d'éthique professionnelle des journalistes. Qui précise, en effet, qu'un journaliste «digne de ce nom» «ne touche pas d'argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d'être exploitées».

En 2008 déjà, le Syndicat national des journalistes (SNJ) de France 3 avait demandé à sa direction de prendre des sanctions à l'encontre de la journaliste de Christine Ockrent qui, en moins de deux ans, avait animé le lancement d'un logiciel de Microsoft, présidé un jury SFR, animé un Forum de Retraites organisé par la Caisse des dépôts, et participé à l'animation de l'université d'été du Medef. A l'époque, la SDJ de France 3 déplorait une «confusion des genres» et estimait que ce comportement jetait un «doute sur l'impartialité» de France 3.

En 2011, Nelson Monfort avait été mis à pied plusieurs jours après avoir fait la pub d'Areva, sponsor des championnats d'Europe d'athlétisme en salle, quelques semaines avant de commenter cette même épreuve. Et ce sans prévenir sa direction.

Un accord signé en 2013

C'est dans ce contexte qu'un accord collectif est signé, en 2013, par l'ensemble des syndicats représentatifs à France Télévisions et la direction. Dans cet accord, une page entière est consacrée aux «Collaborations extérieures» des journalistes. «Globablement, la direction autorise la plupart des collaborations extérieures. Par exemple, intervenir dans une école de journalisme, ça ne pose aucun problème. En revanche, aller bosser pour une fédération, ou faire la communication d'une marque, ça, ça passe beaucoup moins», explique Antoine Chuzeville, membre du bureau national national du SNJ, qui a participé aux négociations de cet accord.

«Toute collaboration extérieure revêt un caractère dérogatoire, donc exceptionnel», peut-on lire dans cet accord. Comprendre : la direction doit être au courant, et donner son aval, et ce un mois avant la collaboration envisagée. Lorsqu'elle est acceptée, elle doit être adossée à une demande de congé sabbatique, ou l'utilisation d'un jour de RTT. Impossible donc de faire cela sur son temps de travail, ni même lors des congés payés, des repos hebdomadaires ou des jours de récupération. Autre point : dans le cadre de ses collaborations, le journaliste ne peut se réclamer de son appartenance à France Télévisions, et doit s'assurer qu'aucun document émis à cette occasion ne fasse référence à cette appartenance.

Les «ménages», enfin encadrés par cet accord ? Oui, mais ils sont encore permis. Le même accord stipule, en effet, que l'atteinte à la crédibilité et l'indépendance du journalisme peut être «nuancée» en fonction de plusieurs critères. De l'entité avec laquelle une collaboration est envisagée, mais aussi en fonction de la rémunération ou de la médiatisation de la collaboration. Comprendre : la direction peut autoriser les «ménages» qu'elle veut.

Céline Géraud, présentatrice de Tout le sport sur France 3, ex-Stade 2, nous a par exemple confié en réaliser «très ponctuellement», et «avec l'accord de sa direction». En novembre 2017, elle animait ainsi contre rémunération une journée de sensibilisation sur la radicalisation dans le sport, organisée par le CREPS Île-de-France.

Antoine Chuzeville est bien conscient des limites de cet accord. Il résume le problème ainsi, cinq ans plus tard : «Cet accord doit en théorie nous protéger de ménages douteux ou catastrophiques». Et en pratique ? «La direction, si elle a un journaliste à la bonne, peut quasiment tout lui permettre.» De fait, quelques journalistes du service public (François Lenglet, Thierry Adam) apparaissent toujours dans l'annuaire du site Cesam, qui propose un catalogue de 10 000 noms pour «animer tout type d'évènement».

Pour résumer : les ménages sont donc, aujourd'hui, mieux encadrés chez France Télévisions. Ce qui ne veut pas dire qu'ils sont interdits puisqu'ils peuvent toujours être autorisés par la direction.

Bien cordialement,

Robin A.