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Pourquoi choisir de ne recenser que les femmes mortes dans votre rubrique sur les meurtres conjugaux ?

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publié le 8 mars 2018 à 7h31

Question posée par Sylvain le 07/03/2018

Bonjour,

Vous nous avez posé cette question que nous avons reformulée pour la raccourcir : «Bonjour, Une question me taraude : depuis quelques temps, votre rubrique Meurtres conjugaux dresse la liste édifiante des femmes mortes sous les coups de leur conjoint. Pourquoi ce choix de ne recenser que les femmes mortes ? Ne serait ce pas plus crédible de recenser tous les meurtres conjugaux (l'indiscuabilité de l'exhaustivité) ? Plus fort (cela permettrait de se rendre compte qu'effectivement se sont dans l'immense majorité des cas des femmes qui meurent) ? Plus instructif (peut être verrait-on que les hommes ne meurent pas pour les mêmes raisons que les femmes) ? Merci d'avance pour votre réponse».

En bref : Si la question s'est posée au début du travail, les journalistes ont décidé de ne pas traiter les meurtres d'hommes, car il n'existe pas, d'après les chercheurs spécialistes du sujet de «symétrie» entre les homicides commis sur les femmes et les hommes. Les premiers, contrairement aux seconds, d'après eux, correspondent à un phénomène de société qui doit être mis en avant.

En détail : La liste des «meurtres conjugaux» tenue par la journaliste Titiou Lecoq pour Libération est la poursuite d'un travail publié en juin 2017 et réalisé par Juliette Deborde, Johanna Luyssen et Gurvan Kristanadjaja. Il a vocation à mettre en avant la variété des profils des femmes victimes, notamment de milieu social et les mécanismes récurrents à l'oeuvre dans les meurtres. «Le sujet c'était les femmes : qui sont les 120 femmes tuées chaque années par leur conjoint», rappelle Gurvan Kristanadjaja.

Voici en détail la genèse du projet expliquée à l'époque par les trois journalistes dans l'enquête :

«Elles s'appelaient Géraldine, Christelle, Ninon, Marine, Carole, Myriam. Toutes sont mortes ces derniers mois sous les coups de leur mari, compagnon ou ex-conjoint. Leur décès a eu lieu dans l'indifférence générale, politique et médiatique. Les circonstances de la mort de ces femmes ont parfois été résumées en quelques lignes dans une dépêche AFP, comme autant d'événements anecdotiques. Les titres de presse régionale les ont systématiquement traitées dans la rubrique faits divers, qualifiant l'événement de "crime passionnel", de "différend conjugal" ou de "drame de la rupture". Autant d'euphémismes pour qualifier des homicides qui se produisent le plus souvent dans l'intimité du domicile conjugal, sans témoin. (...) Après avoir vu passer, une nouvelle fois, l'un de ces titres sans que cela n'émeuve grand-monde, nous nous sommes demandé qui étaient ces femmes».

Dans un second temps, il aborde la question que nous nous avez posé, à savoir : pourquoi ne pas parler des meurtres conjugaux d'hommes ? «Libération (...) a fait le choix de se concentrer sur les femmes. Evidemment, des hommes peuvent être eux aussi victimes de violences conjugales. Mais l'écrasante majorité des victimes de meurtres conjugaux sont de sexe féminin», expliquent-ils. En 2016, 109 femmes sont mortes victimes de leur compagnon ou ex-compagnon, contre 29 hommes victimes de leur compagne, ex-compagne, ou compagnon, d'après l'étude nationale sur les morts violentes au sein du couple, publiée en septembre 2017.

Cependant, la question du traitement des meurtres d'hommes s'est posée, confirme Gurvan Kristanadjaja. Mais après avoir discuté avec des chercheurs, les journalistes ont estimé que les meurtres conjugaux de femmes et d'hommes ne peuvent pas être traités de la même façon. «Beaucoup des hommes tués par leur partenaire le sont dans le cadre de violences sur la femme», explique Gurvan Kristanadjaja.

Par ailleurs, «pour de nombreuses associations et universitaires, les meurtres conjugaux procèdent d'une violence de genre, reposent sur ce que la sociologue Pauline Delage appelle dans son ouvrage Violences conjugales: du combat féministe à la cause publique (Presses de Sciences-Po) "une asymétrie de genre". Certains parlent d'ailleurs de "féminicides", une notion inscrite dans le droit pénal de plusieurs pays sud-américains, mais qui peut aussi être appliquée à des meurtres de femmes commis hors du cadre conjugal», poursuit Libération.

Cordialement,

Emma Donada