Question posée par Helena le 12/03/2018
Bonjour,
Votre question fait référence à l'élection législative partielle dans la deuxième circonscription de la Guyane dont le second tour s'est tenu dimanche 11 mars 2018.
En bref : Le score obtenu par le candidat de La République en marche est certes beaucoup plus élevé que dans les autres communes de la circonscription, mais peut s'expliquer de plusieurs façon. En effet, Lénaïck Adam, fils d'un chef d'entreprise de Grand-Santi est l'enfant du pays.
En détail : Comme nous l'évoquions dans une précédente réponse, le premier scrutin de juin 2017 donnant Lénaïck Adam, candidat de La République en marche gagnant, a été annulé en décembre par le conseil constitutionnel, après un recours de Davy Rimane, candidat soutenu par la France Insoumise.
Ce dernier scrutin a de nouveau été remporté avec 212 voix d'avance par Lénaïck Adam, candidat de La République en Marche contre Davy Rimane (50,65% contre 49,36%). Un résultat semblable donc - quoiqu'un tout petit peu moins serré - à celui de juin 2017 où Lénaïck Adam était arrivé en tête avec 50,21% des suffrages exprimés, soit 56 voix d'avance.
Dans un tweet, Jean-Luc Mélenchon attire l'attention sur le score obtenu par le candidat LREM dans la commune de Grand-Santi, et compare la situation avec celle de la Corée du Nord:
Encore une fois, encouragé par le silence complice du parti médiatique au premier tour, les résultats de Grand Santi en Guyane campent en zone Corée du nord : 98% pour le candidat de Macron.
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) March 11, 2018
Dans cette commune d'environ 7000 habitants située à la frontière avec le Suriname, le candidat a récupéré dimanche 667 voix, d'après les premiers résultats transmis par la préfecture, soit 97,51% des votes, contre 2,49% pour Davy Rimane. Là aussi, la différence avec le scrutin de juin 2017 est minime puisque Lénaïck Adam était arrivé premier avec 97,35% des suffrages.
Dans les autres communes, l'avance du candidat LREM est moins importante. Par exemple, à Saint-Laurent-du-Maroni, Lénaïck Adam a obtenu 64,19% des votes, contre 35,81% pour Davy Rimane.
Déjà au premier tour, les résultats à Grand-Santi avaient été pointés du doigt par Raquel Garrido, ex porte-parole de la France Insoumise. En effet, Davy Rimane, longtemps donné en tête au premier tour, est finalement devancé par Lénaïck Adam après la prise en compte des résultats de la commune.
Imaginez une élection législative où tous les résultats tombent toute la soirée et donnent un candidat vainqueur. Un extremis, un résultat inverse le score car l’autre candidat y fait 95,5% des voix! Il ne s’agit pas d’un film aux #Oscars2018 mais du vote à Grand Santi en Guyane. pic.twitter.com/93hNonJ6Ch
— Raquel Garrido (@RaquelGarridoFr) March 5, 2018
Pourtant, d'après plusieurs universitaires contactés par CheckNews ce score n'est pas surprenant. «Ce qui est étonnant, c'est d'être étonné», estime pour sa part Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue et maître de conférences à l'université de Guyane.
«En effet, Grand-Santi est la commune de naissance des parents de Lénaïck Adam. Son père Abongo Adam est un célèbre entrepreneur. Grand-Santi est une commune (dont les habitants sont majoritairement ndjuka) peuplée de 6 700 habitants. Il est donc facile de porter la candidature de "l'enfant du pays"», poursuit-la chercheuse. Le fils d'Abongo, Lénaïck Adam a d'ailleurs pris la direction de l'entreprise de son père, à la fin de ses études, d'après un portrait consacré au candidat diffusé sur Guyane 1ère en vue du scrutin de dimanche.
Dans une interview accordée à une webtélé locale en 2005, Abongo Adam indique être né à Grand-Santi. Il revient par ailleurs sur son engagement associatif dans la ville:
«Au niveau associatif, lorsque j'étais dans la fonction publique, oui effectivement, j'avais beaucoup plus de projets, beaucoup de motivation, beaucoup d'ambition. Aujourd'hui, c'est vrai que je n'ai plus le temps parce qu'il faut savoir que j'ai quand même la société de transport fluvial et j'ai également deux sociétés aurifères qui m'obligent à faire des déplacements assez réguliers. De ce fait, j'ai un peu abandonné le monde associatif, mais on a créé "SOS Noirs Marrons", une association sportive. Aujourd'hui, ma seule participation dans le monde associatif, c'est l'équipe de Grand-Santi dont je suis trésorier».
De façon générale, «un tel score peut s'expliquer à la fois par des logiques de clientèle et/ou ethniques», d'après Stéphanie Guyon, politologue. Mais dans le cas du candidat, «il y a eu un logique d'identification» et de «solidarité», selon elle :
«Il faut aussi comprendre (qu'avec Lenaïck Adam), c'est la première fois qu'un candidat noir-marron était en passe d'accéder au poste. Auparavant, les scores des candidats issus de sa communauté étaient très faibles. Les bushinengués sont un groupe [présent à Grand-Santi, également appelé Noirs Marrons]- et il y en a d'autres - qui a longtemps été éloigné des pouvoirs politiques et même du vote», explique la chercheuse.
Lors de sa campagne, le candidat Adam a investi ce terrain, encore peu labouré par les autres candidats pour faire grandir son électorat. Une chanson en soutien du candidat a notamment été diffusée en deux versions, l'une française et l'autre en Bushi-tongo (la langue des Bushinengués)
Ajoutons enfin que Grand-Santi a déjà connu des scores très élevés par le passé, votant à plusieurs reprises de façon ultra majoritaire, pour plusieurs candidats pourtant issus de rang politique divers. Emmanuel Macron a obtenu 97,27% au second tour de l'élection présidentielle (60% au premier tour), en 2017, François Hollande 77,95% en 2012, et Ségolène Royal 88,82% en 2007. En 2002, Léon Bertrand (UMP) y avait raflé 93% des voix au second tour des législatives, avant de récidiver 5 ans plus tard (92%).
Cordialement,
Emma Donada et Fabien Leboucq