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Le doyen de la fac de droit de Montpellier a-t-il fait rentrer des militants cagoulés pour tabasser les bloqueurs ?

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publié le 23 mars 2018 à 11h25

Question posée par Sam le 23/03/2018

Bonjour

Votre question fait référence à l'évacuation violente de la fac de Droit de Montpellier, le jeudi 22 mars au soir, par des individus cagoulés et armés. Selon plusieurs témoignages, le doyen de la faculté, Philippe Pétel, aurait facilité l'entrée des agresseurs. Lui assure qu'il était dans le hall de la fac au moment où la scène se déroulait dans un amphithéâtre.

Jeudi 22 février au soir. La journée de mobilisation contre le Plan Etudiants se termine par l'occupation d'un amphithéâtre de la fac de droit et de sciences politiques de Montpellier, sise rue de l'Ecole-Mage, en plein cœur de la vieille ville. En début d'après midi commence une Assemblée générale, selon un communiqué de l'union syndicale Solidaires. Elle se termine vers 17 heures, selon Octave, un étudiant d'une autre faculté, et membre du syndicat Solidaires, venu y participer.

Les discussions se poursuivent jusque tard le soir. Le doyen de la faculté Philippe Pétel est présent, selon Octave. En fin de soirée, un groupe d'individus fait irruption dans l'amphi. D'après plusieurs vidéos en ligne et témoignages concordants, ils sont une dizaine, cagoulés pour la plupart, habillés de noir, armés de bâtons de bois et de «tasers». Ils frappent les occupants et les font fuir.

Voici le témoignage de Marie*, élève d’une autre faculté montpelliéraine, également sur place.

Des étudiants en droit contestaient la légitimité de l'AG. Vers 23h-00h, plusieurs sont arrivés en haut de l'amphi et ils ont commencé à nous compter. Après ils sont sortis de l'amphi, et les gens qui l'occupaient ont commencé à sortir, à remonter en haut de l'amphi. Tout à coup, un mec est entré dans l'amphi.<strong> </strong>Il y avait plusieurs gars, le premier qui est entré n'était pas cagoulé, c'était une armoire à glace. Le deuxième était plus jeune, il avait dans sa main une planche de palette avec des clous. Je suis redescendue dans l'amphi pour récupérer mes affaires, quand je me suis retournée, j'ai vu que l'amphi était plein de mecs qui frappaient au poing, à la planche, au taser. Je me suis précipitée vers la porte de l'amphi. La sécurité ne faisait rien. On est sorti de l'amphi, pour aller dans le hall. On a vu qu'ils descendaient les grilles de l'entrée. Il y avait un mec qui tasait les personnes qui voulaient entrer et sortir. Quand les grilles ont été fermées, il restait des étudiants manifestants à l'intérieur de la fac. Ces gens là se sont fait tabasser entre la grille et la porte de sortie.

Voici le témoignage d’Octave, recueilli par CheckNews, qui assure que le doyen de la faculté a ouvert la porte.

Un peu avant minuit tout le monde est sorti de l'amphi, parce qu'on a vu des personnes tout de noir vêtues et [le doyen] Pétel, ils sont entrés par une porte [de l'amphithéâtre] qui était fermée. <strong>C'est le doyen qui a ouvert la porte. Je l'ai vu de mes propres yeux.</strong> Ils sont entrés dans l'amphi, ont frappé les étudiants, moi j'ai pris deux coups à la tête, un dans le ventre, j'ai des marques aux visages et le nez qui saigne. Ils avaient des matraques en palettes en bois. Pétel a ouvert une porte aux hommes en noir, les a laissé faire. La sécurité incendie n'a rien fait, elle les a laissé faire. Les hommes en noir étaient une dizaine, cagoulés. Des étudiants en droit ont reconnu [parmi eux] des professeurs de la faculté. Un professeur en droit civil et un professeur d'histoire du droit.

Un autre témoignage désigne précisément le doyen, celui de Léna, sur sa page Facebook:

Le doyen n'a pas autorisé la police à rentrer dans la faculté, pour arrêter les hommes qui ont envoyé trois étudiants à l'hôpital. Le doyen de la fac de droit, je l'affirme parce que je l'ai vu, a montré à ces hommes, dont il n'avait pas peur, les "cibles". Des étudiants, des jeunes comme vous.

Voici deux vidéos montrant les faits.

Expédition punitive d'une milice contre des étudiants et des lycéens à la faculté de droit et de science politique de Montpellier

(Vidéo 3) Une dizaine de gens cagoulés ont tazé et matraqué les étudiants et les lycéens qui occupaient un amphi de l'université de droit et de science politique de Montpellier, avec la complicité active du doyen de la faculté, Philippe Petel. Il y a au moins 4 blessés. Plus d'infos bientôt.

Posted by Montpellier Poing Info on Thursday, March 22, 2018

On peut par ailleurs voir dans les vidéos des hommes en rouge, qui seraient les agents en charge de la sécurité incendie. On ne les voit à aucun moment s'interposer. Contactée par CheckNews, l'université explique qu'ils «assuraient l'évacuation de la faculté.»

Et voici le récit que fait à CheckNews le doyen Philippe Pétel, qui assure ne pas être à l’origine de de l’évacuation :

Il y a eu une réunion d'information que j'avais autorisée et qui s'est transformée en AG. Un très grand nombre de personnes extérieures à l'université, venant d'autres facs, ont maintenu l'idée d'occuper la faculté. Le ton est monté très rapidement, j'ai demandé l'intervention de la police vers 17 heures mais la préfecture a refusé. A la nuit tombée, les esprits se sont échauffés, il y a eu des échauffourés, un de mes collègues a reçu un coup de poing. Il y avait des vigiles, 4 ou 5 profs et une cinquantaine d'étudiants de notre faculté et beaucoup d'autres venaient de Paul Va [Paul Valéry, la fac de lettres], mais pas que. Certains ne posaient pas de problème, mais en revanche il y avait des violents.

Vers minuit, l'échauffouré s'est terminée par l'évacuation. On a fini par fermer les rideaux de fer, les étudiants en droit sont restés à l'intérieur, les autres dehors.

Interrogé plus précisément sur les hommes cagoulés, sur leur identité, et sur la possible présence de professeurs parmi eux, Pétel oppose :

Parmi les personnes cagoulées, oui, c'est possible qu'il y ait eu un prof de droit, c'est possible, les gens de la fac de droit défendaient leur fac. Mais je pense que c'était plutôt des gens de la fac. Il y a un groupe de gens de droit qui étaient opposés à l'occupation de la fac. J'ai vu des cagoulé toute la journée mais je n'ai pas vu la scène dans l'amphithéâtre.<strong> Je ne suis pas à l'initiative de la venue de ces hommes en noir. On attendait la police.</strong>

Avant de parler à CheckNews, le doyen avait livré un témoignage à France3. Il se disait notamment «fier de ses étudiants»... sans qu'on sache de quels étudiants ils parlaient exactement, ni quel était l'objet de sa fierté. Une phrase sybilline, donc, puisque l'interview, dont voici le verbatim, est coupée juste avant, et se termine juste après.

Il y avait une trentaine, une quarante d'occupants, que la police aurait pu évacuer sans souci. [...]<strong> Je n'ai fait rentrer personne.</strong> Y avait une bonne cinquantaine d'étudiants, ils ont voulu se défendre, je ne peux pas les en blâmer. Les étudiants en droit qui étaient là, ils étaient tous contre l'occupation [...] Je suis assez fier de mes étudiants. Je les approuve totalement.

En résumé, plusieurs témoins accusent le doyen d'avoir ouvert la porte aux agresseurs, ou d'avoir laissé l'agression se dérouler. Celui-ci nie être à l'origine de leur intervention, sans pour autant la condamner.

EDIT à 14h47: Par communiqué de presse, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation demande l'ouverture d'une enquête par l'Inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la Recherche.

EDIT  samedi 24 mars : Par voie de communiqué, l'université de Montpellier annonce que son président a accepté la démission du doyen de la faculté de droit de Montpellier, Philippe Pétel. «Au regard des événements, M. Pétel a pris sa décision», commente l'université, qui assure ne pas avoir demandé au doyen de quitter son poste. «Les enquêtes pénale et administrative en cours devraient permettre d'en apprendre plus sur ce qu'il s'est passé», ajoute l'université de Montpellier, qui assure ne pas avoir d'informations sur la présence ou non de professeurs au moment des faits.

Marie-Perrine Tanguy et Fabien Leboucq