Question posée par Jordan le 26/03/2018
Bonjour,
Vous nous posez cette question alors que l'attentat de l'Aude a été revendiqué par l'Etat islamique vendredi 23 mars.
Comment s'est déroulée cette revendication ? Selon une dépêche AFP, l'attaque a été revendiquée par le biais d'un communiqué de l'agence de propagande de l'Etat islamique, Amaq, diffusé via l'application Telegram.
Les dernières attaques terroristes menées sur le sol français, et à l'international, ont toutes été revendiquées par cet organe de propagande de l'EI. L'attentat de la gare Saint-Charles en octobre 2017, des Champs-Elysées en avril 2017, de Saint-Etienne-du-Rouvray et de Nice en juillet 2016, de Magnanville en juin de la même année, et du 13-Novembre en 2015. Les attentats de Kaboul qui a fait plus de cent morts en janvier dernier, de Manchester en mai 2017 ou encore de Berlin en décembre 2016 ont aussi été revendiqués par cet organe de propagande. Voici le communiqué diffusé vendredi :
Statement by <a href="https://twitter.com/hashtag/ISIS?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#ISIS</a>' Amaq for <a href="https://twitter.com/hashtag/Trebes?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#Trebes</a> <a href="https://twitter.com/hashtag/France?src=hash&ref_src=twsrc%5Etfw">#France</a> attack now issued in English, French, Italian, Russian, Arabic & more. Not surprising--as I've prev mentioned, ISIS' media operations have rebounded after its months-long stagnation in late 2017 <a href="https://t.co/houFJRAMtx">https://t.co/houFJRAMtx</a> <a href="https://t.co/pbpa5q912G">pic.twitter.com/pbpa5q912G</a>
On peut y lire en français qu'une «soldat de l'Etat islamique a effectué une attaque à Trèbes, dans le sud de la France, en réponse à l'appel de l'Etat islamique à frapper les pays de la coalition».
Les codes des agences de presse
Les «communiqués» d'Amaq reprennent les codes des agences de presse : un style sobre, des alertes «breaking news» et des sources. En janvier 2016, le New York Times expliquait:
[Amaq] diffuse un flux important de communiqués courts sur l'application cryptée Télégram, elle fonctionne comme le ferait une agence de presse officielle dans un Etat totalitaire. Les alertes, articles et vidéos reprennent les codes du journalisme mainstream, avec des titres "breaking news" et "exclusifs".
Mais Amaq est bien l'outil de propagande de l'EI, et non une agence de presse. Selon le quotidien américain, les chercheurs américains du Search for international ierrorist entities institute (Site) ont remarqué l'émergence d'Amaq au moment de la bataille de Kobané en 2014.
Sur son blog Jihadologie, Romain Caillet avance :
L'agence aurait été fondée par le Syrien Riyan Mesh'al, ancien responsable de Halabnews.net (HNN), un collectif rassemblant des activistes syriens anti-Assad. Elle va se faire connaître à partir d'octobre 2014 (c'est-à-dire à peine un mois après la vague de suppression de comptes jihadistes sur Twitter) pour sa couverture, largement favorable à l'Etat islamique, de la bataille de Kobané (de septembre 2014 à juin 2015), tout en se présentant comme une agence de presse indépendante. De simple site internet à l'origine, A'maq va rapidement évoluer, créer des comptes Twitter et Facebook, puis des applications Android.
Des «erreurs» dans les communiqués
Récemment, plusieurs revendications de l'EI diffusées par le biais d'Amaq ont été mises en doute. Suite à l'attentat des Champs-Elysées en avril dernier, où un policier a été tué, le communiqué d'Amaq présentait l'assaillant comme «Abou Youssef le Belge» («Abou Youssef al-Belgiki»), alors que l'attaquant, Karim Cheurfi, était français. Le Monde écrivait alors :
Les revendications de l'EI, d'abord relayées par Aamaq, sont en général suivies d'un communiqué en bonne et due forme, puis d'une vidéo, d'un message audio ou d'un testament de l'auteur d'une attaque où il prête allégeance au chef de l'organisation, Abou Bakr Al-Baghdadi. Mais ces « preuves » diffusées sur ses canaux de propagande ne sont plus aussi automatiques que par le passé.
A Nice, alors que l'EI a revendiqué l'attaque au bout de 36 heures (toujours via Amaq), les enquêteurs n'ont trouvé aucun lien entre l'assaillant et l'organisation. Libération s'interrogeait sept mois plus tard :
Est-on donc en présence de la première revendication opportuniste de l'EI ? Lecture faite du dossier d'instruction, que <em>Libération </em>a pu consulter, la réponse semble tranchée : les magistrats n'ont exhumé à ce jour aucun document, aucun audio de Mohamed Lahouaiej Bouhlel pouvant le relier à l'organisation terroriste.
A Manchester, on lisait qu'un «soldat du califat» avait posé plusieurs explosifs dans le stade alors que l'attaquant s'était en réalité fait exploser. Les médias, dans un premier temps, faisaient eux aussi état de plusieurs explosions... Enfin, l'EI a revendiqué l'attentat de Las Vegas en octobre dernier, alors que le FBI assure que l'attaque n'était «pas liée au terrorisme». Comme l'ont fait remarquer plusieurs spécialistes, le tireur s'est d'ailleurs suicidé alors que les assaillants de l'EI cherchent d'habitude à mourir en martyr.
Dans une enquête publiée en juin dernier, Radio Canada expliquait que ces erreurs venaient en fait... des médias. Amaq (donc l'EI) s'appuie notamment sur ce qui est écrit dans la presse pour rédiger ses communiqués :
Toutes ces erreurs factuelles dans les communiqués sont d'autant plus probantes quand on regarde les informations qui circulaient dans les médias au moment où ces revendications ont été publiées. Par exemple, pour Manchester, les premières informations voulaient qu'il y ait possiblement eu plusieurs explosions, comme le laisserait croire la revendication de l'EI.
Voici d'ailleurs ce qu'expliquait aussi Radio Canada :
Nous pouvons classer les revendications de l'EI en deux grandes catégories : celles revendiquant un attentat que l'EI a lui-même facilité – soit en organisant l'attaque, soit en offrant un soutien quelconque – et celles revendiquant un attentat que le groupe a seulement inspiré. «Dans ces cas [où l'EI a organisé l'attaque], les communiqués contiennent un peu plus de détails. Mais quand il s'agit d'une attaque inspirée, on voit que l'EI essaie de regarder auprès de ses supporteurs et dans les médias sociaux pour voir si l'attaquant leur a prêté serment. À défaut de cela, ils attendent de voir si les médias vont trouver quelque chose », avance Daniel Milton, directeur de recherche du Centre de lutte contre le terrorisme de l'académie militaire West Point.
Pas de communiqué officiel sur l'attentat de Trèbes
Sur Twitter, Achraf Ben Brahim et Romain Caillet notent par ailleurs que la brève dépêche publiée suite à l'attaque de l'Aude n'a pas été suivie de communiqué plus officiel :
D'ailleurs, ils ont publié une dépêche d'Aamaq pour la revendication mais je ne sais même pas s'il existe communiqué officiel de l'EI, ce qui veut dire que c'est vraiment le service minimum de leurs organes médiatiques sur cette affaire.
— Romain Caillet (@RomainCaillet) March 26, 2018
Contacté par CheckNews, Romain Caillet confirme que, après les attaques importantes comme Kaboul ou Las Vegas, les dépêches d'Amaq ont toujours été suivies d'un communiqué officiel : «Alors qu'Amaq donne l'information dans l'urgence avec un ton neutre qui essaie de copier les agences de presse, un communiqué au nom de l'EI suit généralement et glorifie les jihadistes.»
Par exemple pour Las Vegas, il y a eu une dépêche, suivie d'une deuxième dépêche corrective précisant qu'il s'agissait d'un nouveau converti, et ils ont encore enfoncé le clou dans un communiqué.
Cette simple dépêche de vendredi 23 mars donne donc vraiment l'impression d'un «service minimum» selon l'expert.
Précisions enfin à propos des attentats de janvier 2015 : celui de Charlie Hebdo n'avait pas été revendiqué par l'EI mais par Al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa) par le biais d'une vidéo diffusée sur un site islamiste. Amedy Coulibaly, l'auteur de l'attentat de l'Hyper Casher, s'était revendiqué de l'EI dans une vidéo posthume.
Quant aux liens entre l'assaillant de l'Aude et l'EI, ils font peu de doutes : des notes faisant allusion à l’EI, et faisant penser à un testament, ont été découvertes à son domicile.
En résumé, l'EI revendique les attentats en diffusant des communiqués par le biais de son organe de propagande Amaq mais certaines revendications interrogent et peuvent apparaître comme «opportunistes».
Cordialement,
Pauline Moullot
Mise à jour lundi 26 mars à 17 heures avec ajout des propos de Romain Caillet