Question posée par le 30/03/2018
Bonjour,
Mercredi 21 mars, les avocats de France décrétaient une journée «justice morte». Les audiences sont renvoyées à des dates ultérieures. Certains barreaux déclenchent une grève illimitée. Vendredi 30 mars, rebelotte. Au total et depuis le 20 mars, environ 120 barreaux ont mené des actions de protestation.
Les critiques des avocats sont synthétisées sur le site du Conseil national du barreau (ici puis là). Elles portent sur le projet de loi de programmation pour la justice, annoncée début mars par la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Le document intégral (une centaine de pages) est aussi disponible sur le site du le CNB.
Libération a fait le point sur le contenu du texte au moment de sa présentation par Nicole Belloubet, le 9 mars, en dessinant trois axes principaux de la réforme. Sur le papier, et en résumé, l'idée du gouvernement est de mieux organiser la justice, et de la faire fonctionner pour moins cher.
Ce projet a été transmis au Conseil d'Etat,et devrait être présenté en Conseil des ministres le 18 avril, puis, à terme, au Parlement. «Il y est question de "dématérialisation", de «simplification» des procédures judiciaires, histoire de désengorger, à budget constant, des tribunaux débordé, résumait récemment Libé. Les baveux ont aussitôt traduit: "déjudiciarisation à outrance", "privatisation de la justice". Ou encore "régression des droits de la défense" via un "sacrifice de l'oralité"».
Dans ces 80 pages, qui préfigurent ce que pourrait être la réforme, le gouvernement tire dans tous les coins. Prenons point par point les principales mesures annoncées et celles qui cristallisent le plus de critiques des avocats, et voyons ce que disait le programme du candidat Macron.
Territoire
Premier grand axe, l'un des plus polémiques: la modification de l'organisation territoriale de la justice. La ministre de la Justice Nicole Belloubet l'a promis dans un entretien au Monde, «tous les tribunaux de grande instance (TGI) seront maintenus.» Et d'annoncer la fusion entre TGI et TI dans les villes où les deux sont présents.
Comme le relève le quotidien dans un article sur la colère des avocats, tous les TGI et toutes les cours d'appel sont bien maintenus. Toutefois, le texte du gouvernement «permettra de confier par décret à certaines de ces juridictions et pour certaines matières civiles la totalité du contentieux du département ou de la région». Certains sujets seront donc traités exclusivement par un seul tribunal ou une seul cours sur un territoire, éloignant physiquement les justiciables de la justice.
La fusion des tribunaux était déjà proposée par Emmanuel Macron dans son programme, au motif de rendre la justice «plus lisible». L'idée de calquer la répartition des cours d'appel sur les régions administratives a par contre été abandonnée.
Numérisation
Une fois n'est pas coutume, et toujours sous couvert de «lisibilité», de nombreuses procédures pourraient être numérisées. Avec, par exemple, la possibilité pour tous les parties et les acteurs judiciaires et policiers de consulter l'avancée du dossier en ligne. Proposition que l'on retrouvait déjà chez le candidat Macron.
Sur ce point, l'opposition des avocats semble moindre. Mais l'inquiétude vient du recours à tout va à la technologie, y compris pour.... la première comparution devant le juge d'instruction, qui pourrait se faire par visioconférence. Les avocats y voient un risque supplémentaire d'éloignement entre le justiciable et son juge.
Déjudiciarisation
C'est une critique forte des robes noires. A plusieurs égards, le gouvernement propose de diminuer le recours aux juges, afin de désengorger les tribunaux. Des acteurs comme les huissiers ou la CAF, par exemple, seraient plus souvent sollicités pour de petits procédures, des conciliations, etc. Les litiges de moindre ampleur seraient possiblement traités par voie dématérialisée – ce qui se rattache au point précédent.
Ces évolutions, pour partie consignées dans le programme du candidat dans l'optique de la simplification des procédures, concourrent au processus de «déjudiciarisation» (terme qui n'apparaît pas dans le-dit programme). Pour les avocats, si cette déjudiciarisation est souhaitable par certains aspects, elle est surtout la porte ouverte à la «privatisation» de la justice. Elle mène à une justice «sans juge et sans avocat», selon la formule du Conseil national des barreaux et contribuent, là encore, à éloigner justiciable et personnels de la justice.
Tribunal criminel départemental
Autre gros point de friction entre l'avocature et Vendôme la perte de compétences des cours d'assises pour certaines affaires criminelles, qui ne seraient, le cas échéant, plus jugées par des jurées populaires. Seraient ainsi jugées par des magistrats professionnels, dans des tribunaux ciminels départementaux, les viols, les coups mortels et les vols à main armée.
Pour les avocats cela constitue un risque accru de «correctionnalisation». Ce procédé – qui existe pour les viols, mais pas seulement – consiste à qualifier des crimes, normalement jugés par les cours d'assises, en délit, jugés en correctionnel. Cette «révolution» qui, «modifie nos principes judiciaires fondamentaux» a été engagée sans assez de concertations, selon le Conseil national des barreaux. Elle n'était en tout cas pas prévue par le candidat Macron.
Libertés
Parmi les griefs des avocats, notons plus largement l'inquiétude par rapport aux droits de la défense et des justiciables. Le projet prévoit d'élargir les possibilités d'enquêter sous pseudo pour les policiers – notamment pour infiltrer, en ligne, des groupes de délinquants -, facilite le recours aux écoutes, interceptions et sonorisations. Des mesures absentes des propositions de campagne de l'actuel président. Le CNB évoque «un texte qui répond aux seules demandes des forces de police et du parquet, sans garanties des droits de la défense».
La forme
Globalement, ce projet jugé «inacceptable» par le CNB est aussi critiqué par l'avocature pour la manière dont il a été amené par le gouvernement. Interrogée par Libé, la présidente du Conseil national des barreaux Christiane Féral-Schuhl s'indigne d'une «concertation en trompe-l'oeil»: «La violence de notre réaction est liée à la méthode» employée par le gouverment pour amener la réforme. Après des négociations entre les métiers de la justice et le ministère, le dialogue a tourné (trop) court au goût des avocats.
En résumé: certaines des mesures présentes dans le texte de la réforme étaient bien présentes dans le programme d'Emmanuel Macron. Mais pas toutes, loin de là. Quant aux critiques des avocats, elles portent sur la méthode de la réforme, d'une part, mais surtout sur les risques qu'elle comporte selon eux. A savoir qu'au motif de l'optimisation et de la simplification du fonctionnement de la justice, celle-ci soit mise à mal, et que cela porte préjudice à l'avocature, mais surtout aux justiciables.
Fabien Leboucq