Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CHECKNEWS

Pourquoi Jacques Chirac avait-il accordé la légion d'honneur à Bachar Al-Assad ?

par
publié le 20 avril 2018 à 14h10

Question posée par Lisa le 18/04/2018

Bonjour,

Nous répondons à votre question alors que le président syrien a rendu sa légion d'honneur, jeudi 19 avril, à la France. L'entourage d'Emmanuel Macron avait annoncé lundi 16 avril avoir lancé une procédure pour en demander le retrait. Cette décoration avait été attribuée à Bachar Al-Assad en 2001 par Jacques Chirac au cours d'une visite officielle.

«La remise de la Légion d'honneur à un chef d'État étranger correspond à un usage diplomatique institué par Napoléon lui-même. Dans ce cas, elle accompagne la politique étrangère de la France et illustre l'existence de relations entre les deux pays», a rappelé la grande Chancellerie de la légion d'honneur, contactée par CheckNews.

Sans donner plus de détails sur les choix qui ont conduit Jacques Chirac à remettre cette récompense à Bachar Al-Assad, en 2001, elle précise tout de même «que celui-ci venait d'accéder à la présidence et qu'il incarnait un certain espoir de renouveau».

Effectivement, le dirigeant syrien a succédé en 2000 à son père Hafez Al-Assad, décédé après 29 ans de pouvoir. A ce moment là, «le président était persuadé que le changement de génération dans le monde arabe, avec l'arrivée au pouvoir de Mohammed VI au Maroc, d'Abdallah II en Jordanie et de "Bachar" en Syrie, allait faire bouger les choses… », expliquait Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères de l'époque, au journal Le Monde dans une enquête sur la légion d'honneur publiée en 2017.

Dans les mois qui suivirent son arrivée au pouvoir, Bachar Al-Assad était «crédité d'une volonté réformatrice», notamment par Jacques Chirac, confirme à CheckNews, Jean-Pierre Perrin, à l'époque grand reporter à Libération qui avait couvert la visite d'Assad en France au moment de cette fameuse décoration.

La remise de la légion d'honneur n'avait «rien de scandaleux» à ce moment-là pour les dirigeants français, estime le journaliste. La visite officielle à Paris avait permis à Jacques Chirac «de marquer son "encouragement" et son "soutien" aux "efforts de réforme en cours en Syrie"», écrivait d'ailleurs Jean-Pierre Perrin, en 2001.

Et ce, même si, dans un autre article le journaliste notait que ce vent de réforme aussi appelé le «printemps de Damas» s'était en fait arrêté en février 2001.

Pour comprendre, le soutien de la France à la Syrie à cette époque, rappelons aussi que le soutien de Jacques Chirac à la famille Al-Assad est antérieur à l'arrivée du fils au pouvoir. Celui-ci est d'ailleurs reçu une première fois en 1999, alors qu'il n'est pas encore président.  Par ailleurs, au moment de la mort du père en 2000, Jacques Chirac est le seul président européen à se rendre aux funérailles.

Une décoration en tout discrétion

Précisons aussi que la remise de cette médaille au président syrien le 25 juin 2001 est passée sous les radars des grands quotidiens nationaux, à l'époque, dont Libération.

Par exemple, dans un article sur la visite officielle de Bachar Al-Assad à Paris en juin 2001, Libération rapporte les échanges entre les deux chefs d'Etat, les mobilisations contre la venue du chef d'Etat, mais ne mentionne pas la légion d'honneur. «Si je l'avais su, j'en aurais sûrement fait quelque chose», indique Jean-Pierre Perrin a posteriori.

D'ailleurs, la cérémonie de décoration n'était pas annoncée à l'agenda de la semaine de Jacques Chirac transmis par l'AFP, le vendredi 22 juin 2001. Rien non plus dans la dépêche relatant l'entretien entre les deux chefs d'Etat. Il est seulement précisé que «Jacques Chirac a offert à Bachar al-Assad un récepteur de télévision à écran plat» et a reçu en retour un buste de Phlippe l'Arabe, un empereur romain d'origine syrienne.

Le gouvernement aussi avait été tenu à l'écart de cette cérémonie, puisque le premier ministre de l'époque Lionel Jospin et le ministre des affaires étrangère Hubert Védrine n'avaient pas été conviés à la cérémonie, d'après Le Monde.

« La grand-croix à "Bachar" ? J'ai dû le savoir à un moment donné, mais je l'avais complètement oublié… », a indiqué Hubert Védrine, au quotidien. Une seule photo de la cérémonie a été retrouvée par Le Monde. On y voit Jacques Chirac remettre lui-même la décoration à Bachar Al-assad.

Une scène «

immortalisée par l’un des photographes officiels du régime syrien. Bachar Al-Assad, sourire aux lèvres, semble s’amuser de la maladresse de Jacques Chirac, qui peine à lui accrocher une médaille au revers de la veste. On distingue mal la décoration, mais la large boîte rectangulaire rouge laissée ouverte sur la table ne laisse guère de doute

», explique

Le Monde

.

Cette discrétion révèle, d'après le spécialiste Jean-Pierre Filiu, que «Chirac ne se fait à l'évidence aucune illusion, dès cette époque, sur "l'honneur" tout relatif de son hôte syrien».

Cordialement,

Emma Donada