Question posée par le 09/05/2018
Bonjour,
Votre question a été reformulée pour la raccourcir. La voici en version intégrale : «Est-il vrai qu'un rapport sénatorial de juin 2017 indique que les 2/3 de ceux qui se prétendent "mineurs isolés étrangers" sont en fait des majeurs ?»
Votre question fait référence au «rapport d'information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés», que les sénateurs Élisabeth DOINEAU et Jean-Pierre GODEFROY ont rédigé et qui a été enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2017. L'idée que les deux tiers des mineurs isolés étrangers sont en fait des majeurs avait ensuite été présentée sur France 3 en mars 2018 par Gilles Pennelle, le Président du groupe FN au Conseil Régional de Bretagne.
CheckNews a consulté pour vous le rapport et y a trouvé les informations suivantes dans le chapitre dédié aux «difficultés de l'évalutation des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés »
Alors que les conseils départementaux sont confrontés à un afflux auquel leurs capacités d'hébergement ne leur permettent pas de faire face, il apparaît qu'une partie importante des personnes se présentant comme MNA sont finalement évaluées majeures. Dans une moindre mesure, l'évaluation peut faire apparaître que l'intéressé n'est pas isolé.
Les données communiquées à vos rapporteurs par l'agence des services de paiement (ASP),<span> </span> font apparaître que, entre le troisième trimestre 2013 et le deuxième trimestre 2016, 39 515 personnes ont fait l'objet d'une évaluation, dont 24 136, soit 61 % ont été déclarées mineures et isolées. Toutefois, on observe un net fléchissement de ce taux, qui est passé de 70 % en 2013 à 49 % au second trimestre 2016.
Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que la part des évaluations concluant à la minorité et à l'isolement est aujourd'hui proche de 40 % à l'échelle nationale et ne dépasse pas 15 % dans certains départements.
La part de 60% de personnes non reconnues comme mineurs isolés s'approchent des deux tiers que vous évoquez. A noter toutefois que les 40% concernent donc les mineurs reconnus comme tels ET pour lesquels la situation d'isolement est également reconnue. Si le rapport ne donne pas de détail, il y a donc aussi, dans les 60% de mineurs non reconnus des personnes mineures, mais n'étant pas isolées.
Lors de l'examen du rapport en commission, la rapporteure Élisabeth Doisneau a également insisté sur la majorité de nombreux jeunes migrants à deux reprises en déclarant d'abord que «de plus, les départements sont confrontés à un nombre important de personnes se déclarant mineures alors qu'elles sont en fait bel et bien majeures», puis en précisant : «si la prise en charge des mineurs en danger relève de la compétence des départements au titre de la protection de l'enfance, il ne nous paraît pas justifié que ces derniers supportent une telle charge au titre de l'évaluation de jeunes dont la plupart se révèlent être majeurs, d'autant que leur arrivée en France résulte d'une carence de l'État dans la maîtrise des flux migratoires, qui est de sa compétence».
On retrouve également des chiffres similaires dans un avis de la députée LREM Delphine Bagarry remis en octobre 2017 et que la mission mineurs non accompagnés (MMNA) du ministère de la Justice cite à côté du rapport Doisneau-Godefroy dans son rapport d'activité pour l'année 2017.
Dans ce rapport d'activité, publié en mars 2018, on peut lire que « 14 908 personnes déclarées mineures non accompagnées (MNA) entre le 1er janvier et le 31 décembre 2017 ont été portées à la connaissance de la cellule (...) Soit 85% d'augmentation sur la seule dernière année ». Il indique que ces mineurs sont surtout des garçons (95%), majoritairement âgés de 16 ans et principalement originaires de Guinée (29%), Côte d'Ivoire (17%) et Mali (16%). Le nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés n'est pas présenté, CheckNews a contacté la mission pour obtenir ce chiffre et ainsi calculer la proportion de mineurs reconnus. La mission mineurs non accompagnés nous a répondu que «le ministère ne dispose pas de ce chiffre». Interrogé par Checknews, un porte-parole de la chancellerie a confirmé cette absence d'information centralisée et nous a renvoyé vers les deux rapports précités :
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) ne dispose effectivement pas d'un décompte national des jeunes soumis à l'évaluation de leur âge dans le cadre de la procédure de l'évaluation de la minorité et de l'isolement, mais uniquement du nombre de mineurs reconnus comme tels qui figure dans le rapport annuel d'activité de la mission mineurs non accompagnés. S'agissant d'un dispositif lié à la protection de l'enfance, au titre donc d'une compétence décentralisée, seuls les départements disposent de ces données.
L'évaluation de la minorité
Pour bénéficier de la protection à l'enfance, un migrant mineur doit donc se présenter au bureau de l'aide sociale à l'enfance du département, où il se trouve. Ce service va alors examiner sa demande et donc déterminer s'il peut être considéré comme un mineur isolé étranger. Pour cela, cet organisme départemental va examiner la validité des papiers d'identité du mineur (s'il en a), réaliser une évaluation sociale lors d'un entretien (où le mineur doit raconter son parcours, son histoire et qui permet ainsi de déterminer son âge et son isolement) et il peut également proposer un examen médical (qui ne peut être réalisé qu'avec l'accord du migrant). L'examen médical consiste souvent en des radiographies de la machoîre et du poignet, mais peut aussi être plus poussé par exemple en examinant le sexe du migrant. À noter, l'examen osseux est décrié par de nombreux médecins et d'associations d'aides aux migrants puisqu'il ne permet pas de déterminer exactement l'âge d'une personne: il existe une marge d'erreur. Le rapport de juin 2017 des deux sénateurs rappelle ces inquiétudes puisqu'il qualifie la détermination osseuse de « métrode controversée » et précise: «La pertinence de l'atlas de Greulich et Pyle concernant des mineurs africains est remise en cause et, surtout, les tests osseux ne permettent d'estimer l'âge d'un individu qu'avec une marge d'erreur d'environ 18 mois, ce qui est particulièrement imprécis dans le cas de personnes alléguant un âge compris entre 16 et 18 ans ».
A partir de ces évaluations, l'ASE décide donc de déterminer si un migrant peut être considéré comme mineur isolé étranger. En cas de refus, le migrant peut saisir le juge des enfants pour un réexamen du dossier.
Pour plus de détails sur les conditions de l'évaluation, nous vous recommandons de lire le témoignage publié par Libération de Rozenn Le Berre, une éducatrice chargée de constituer les dossiers permettant d'établir le statut de mineur isolé étranger.
En résumé: En recoupant les dernières données récoltées auprès des agence des services de paiement et présentées par un rapport des sénateurs Mme Doisneau et M. Godefroy, ainsi qu'un avis de la députée Delphine Bagarry, on peut observer que le nombre de nombre de mineurs reconnus est en très grande augmentation. Dans le même temps, on voit (quand les données sont disponibles) que la proportion de mineurs reconnus parmi les jeunes qui se présentent comme étant des mineurs non accompagnés est en baisse. Selon un rapport remis au Sénat en juin 2017, seuls 52% d'entre eux étaient considérés comme étant vraiment mineurs isolés sur l'année 2016, ce pourcentage étant même tombé selon la même source à 40% sur les derniers mois observés.
Cordialement,
Jacques Pezet