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Macron est-il le président des riches ?

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publié le 16 mai 2018 à 13h24

Question posée par le 15/05/2018

Bonjour,

Emmanuel Macron est effectivement accusé, par ses détracteurs, d'être le «président des riches». Son prédécesseur à l'Elysée, François Hollande, l'a même récemment quallifié de président des «très riches». Une étiquette qui découle directement de ses choix fiscaux. Ses premières mesures en la matière ont en effet consisté à rendre plusieurs arbitrages en faveur des plus aisés, dont le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt sur la fortune immobilière (IFI), limité aux seuls biens immobiliers, et l'instauration d'un prélèvement forfaitaire à 30% sur les valeurs mobilières (actions, obligations...).

Selon une étude publiée en janvier par l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les 5% des Français les plus aisés devraient ainsi connaître, grace à ces mesures, une hausse de 1,6% de leur niveau de vie en 2018, soit 1 730 euros par ménage. A l'inverse, les 5% les plus modestes verront le leur baisser de 0,6% (graphique ci-dessous). Pour les 1% les plus aisés, le gain sera même plus important encore, puisqu'il atteindra 4,8%. Ces 280 000 ménages les plus riches de France capteront ainsi 2,7 milliards des mesures socio-fiscales prévues pour 2018, soit 9600 euros par ménage.

L’OFCE a continué son étude jusqu’à fin 2019, en prenant en compte la montée en charge des différentes mesures, comme la deuxième tranche de baisse de la taxe d’habitation ou la hausse de la fiscalité indirecte. Par rapport à 2017, les 5% les plus pauvres ne devraient voir leur niveau de vie progresser que de 0,2%, alors que les 5% des ménages les plus aisés resteraient privilégiés, avec une hausse de 2,2% (graphique ci-dessous). Au total, d’ici fin 2019, ces 5% de ménages les plus aisés devraient capter 42% des gains à venir des mesures socio-fiscales du gouvernement.

Dans une étude d'octobre 2017, le Trésor tempère ce déséquilibre. Pour cette administration qui dépend de Bercy, donc du gouvernement, les 10% les plus pauvres bénéficieront, en 2018, d'une hausse de 2,1% de leur niveau de vie et les 10% les plus riches d'une progression de 1,2%. Soit davantage, en pourcentage, pour les plus pauvres que pour les plus riches. Plusieurs éléments expliquent cet écart avec l''OFCE, et surtout avec une première étude de l'observatoire, publiée en juillet 2017, dont une différence importante sur le chiffrage de certaines mesures profitant aux plus riches. Mais surtout, au-delà de ces divergences, le Trésor n'a publié que le gain en proportion du niveau de vie. Or si en proportion, la hausse paraît plus forte pour les moins aisés, c'est parce que leur niveau de vie est beaucoup plus faible que les plus riches. Si on mesure ces baisses d'impôts en valeur absolue (en euros), ce sont toujours les 10% des plus riches qui en captent la plus grosse partie, selon les calculs réalisés par Pierre Madec, de l'OFCE, sur la base des chiffres de la DGT (graph ci-dessous). Ainsi, selon l'étude du Trésor, les 10% les plus aisés accaparent encore 27% de l'ensemble de ces gains.

Président des riches... mais surtout des plus riches

Si certaines mesures socio-fiscales bénéficieront aussi aux autres catégories de la population, ce qualificatif de président des riches semble donc plutôt justifié. Même si la formule de François Hollande (« président des très riches») semble encore plus appropriée. Un des points communs des tableaux ci dessus est, outre le gain indéniable du dernier décile (les 10% de Français les plus aisés), le sort «défavorable» réservé à l'avant dernier décile. Ces Français, qui se situent donc entre les 80 et les 90% des plus riches, apparaissent comme les grands perdants des mesures fiscales. L'explication tient notamment au fait que cette catégorie présente une structure de patrimoine (davantage de patrimoine immobilier relativement au patrimoine mobilier) qui la fait moins profiter de la transformation de l'ISF en impôts sur la fortune immobilière (IFI).

En fait, si on regarde à la loupe, c'est même le dernier centile (les 1% les plus riches) qui devraient, selon l'OFCE, concentrer les gains.

Cette concentration du gain fiscal pour les plus riches des riches avait même fait bondir à droite, allant jusqu'à émouvoir le député LR Gilles Carrez : «Où les "super-riches" concentrent-ils leur fortune ? En actions en Bourse, qui ne rentreront plus dans le périmètre du nouvel ISF, et en plus-values [de cessions de titres], qui relèveront de la flat tax, alors que les revenus fonciers resteront imposés au barème de l'impôt sur le revenu, s'était emporté, auprès du Monde, l'ancien président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. On va avoir un impôt exclusivement sur les "petits riches". J'ai beau être de droite, je suis prêt à soutenir un amendement qui limitera l'exonération d'ISF au seul investissement productif.»

L'inclinaison d'Emmanuel Macron en faveur des plus aisés s'est même encore renforcée depuis, avec l'annonce il y a peu de temps, par le Président de la République dans le journal Forbes, de son intention de supprimer l'exit tax, un dispositif destiné à limiter l'évasion fiscale des plus riches. Et ce, même s'il existe une polémique sur le rendement de cette taxe, comme nous l'expliquions dans une précédente réponse.

Cordialement,

Luc Peillon