Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Combien de grâces présidentielles ont été accordées par les précédents présidents de la République ?

La pratique, à laquelle vient de recourir Emmanuel Macron, a presque disparu au fil des années.
Le nombre de grâces par an et par président est en diminution constante depuis 1970 (Capture d'écran. Libé / Datawrapper)
publié le 30 mai 2018 à 17h37

Question posée par Cyril le 29/05/2018

Bonjour,

Ce week-end, le président de la République Emmanuel Macron a accordé sa première grâce présidentielle partielle. Elle bénéficie à une femme de 73 ans, détenue depuis 30 ans et condamnée à perpétuité pour avoir tué un de ses clients quand elle était prostituée. Elle était détenue dans un hôpital psychiatrique de Rennes.

La grâce ne doit pas être confondue avec l'amnistie, rappelle le site vie-publique: cette dernière est issue d'une loi votée par le Parlement, alors que la grâce est un pouvoir constitutionnel du chef de l'Etat qui lui permet de supprimer ou de réduire une peine de prison.

Il s’agit d’une pratique de plus en plus rare. Contacté, le ministère de la Justice nous a communiqué le nombre de grâces présidentielles accordées chaque année entre 1970 et 2017.

Des chiffres des grâces

De presque de 3000 en 1973 (un record), à 0 en 2017, la grâce a quasiment disparu. Avant que Macron n'y recoure, la dernière en date avait été accordée à Jacqueline Sauvage par François Hollande, fin 2016.

«Le droit de grâce n'est pas un cadeau fait au chef de l'Etat pour lui permettre d'exercer ses fantaisies, jugeait Georges Pompidou en 1972. C'est une responsabilité, parfois effrayante qu'on lui impose, mais qu'il prend au vu des dossiers bien sûr, mais seul, avec sa conscience».

Fantaisie ou non, l’ancien Premier ministre de De Gaulle est le plus grand utilisateur de grâces présidentielles depuis 1970. Pompidou en a accordé plus de 8000, devant François Mitterrand (plus de 6000), Valéry Giscard d'Estaing (près de 6000). Loin devant Hollande (une quarantaine) et Sarkozy (environ 250) et Chirac (plus de 1000). Des chiffres à relativiser en fonction de la durée de mandat de chacun des locataires de l’Elysée.

CheckNews a divisé le nombre total de grâce sur la durée de la présidence par le nombre d’année en fonction. La décrue n’en est que plus visible (plus de 2000 par an pour Pompidou contre moins de 9 chaque année pour Hollande).

Pour faciliter le calcul, le compte de chaque président tient entre l’année de l’élection, et la dernière année pleine de mandat. Par exemple les grâces des années 2007 à 2011 comprises sont attribuées à Nicolas Sarkozy. Alain Poher, qui a assuré l’intérim après la mort de Pompidou et avant l’élection de VGE, en 1974, n’est pas pris en compte.

Comment expliquer ces décrues ?

En 2008 est votée une loi constitutionnelle de modernisation des institutions. Elle modifie l'article 17 de la Loi fondamentale française, qui devient «Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel». L'ajout de ces trois mots, «à titre individuel» par rapport au texte d'origine met fin à la pratique de la grâce collective, habituellement pratiquée à l'occasion de la fête nationale, le 14 juillet.

Dans un article sur le sujet, la chercheuse Pauline Türk remarque que l'une des fonctions de la grâce est d'intervenir «à la marge, pour éviter les excès de rigueur» de la justice. Cette pratique va donc vers une individualisation des peines. À ce titre, selon Pauline Türk: «La pratique des grâces collectives, décrétées sans considération des individus concernés, de leur mérite et des circonstances particulières figurant dans leurs dossiers, est apparue, à juste titre, comme un dévoiement du droit de grâce.»

Plus largement, d'autres facteurs expliquent la décrue du nombre de grâces accordées chaque année, selon la juriste. D'abord, l'abolition en 1981 de la peine de mort rend moins nécessaire ce «dernier recours pour l'individu condamné à la guillotine». Ensuite, l'évolution de la justice et le développement des aménagements de peine permettent aux détenus de se tourner vers les juges plutôt que vers le président pour sortir plus rapidement de prison. Enfin, le droit de grâce, prérogative héritée de la royauté, du temps où le souverain était au-dessus des lois, n'a pas toujours bonne presse dans un régime démocratique.