Question posée par Nico le 14/06/2018
Bonjour,
Nous avons reformulé votre question, la voici en intégralité: «Bonjour @LibeDesintox après l'affaire de #limonest pouvez-vous nous dire combien d'infanticides (volontaires involontaires toutes catégories d'enfants y compris nourrissons non déclarés etc.) sont recensés officiellement par les ministères concernés (santé solidarité intérieur etc.)?».
Vous faites référence au drame de Limonest, cette ville de l’agglomération lyonnaise, où deux petites filles ont été retrouvées mortes dans leur chambre d’une caserne de gendarmerie. On ignore encore comment les deux enfants sont décédées. Leur mère a été mise en examen.
Vous nous demandez combien d’infanticides sont recensés par an. Il convient avant tout de définir le terme.
L'«infanticide» n'est plus la dénomination d'une infraction pénale. Selon l'article 300 de l'ancien Code pénal, abrogé en 1994, l'infanticide était «le meurtre ou l'assassinat d'un enfant nouveau-né». Le meurtre ou l'assassinat d'un nouveau-né est désormais considéré comme un meurtre ou assassinat d'un mineur de moins de 15 ans. En santé publique, on désigne aussi sous le nom d'infanticides, les homicides sur enfants de moins d'un an.
Plusieurs statistiques sont disponibles à ce sujet, selon qu'elles proviennent de la justice, de la police, ou de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Regardons d’abord les premières.
7 condamnations pour homicides sur mineurs de moins de 15 ans
On peut comptabiliser le nombre d’homicides sur les enfants de moins de 15 ans à partir de la statistique judiciaire. En 2015, 7 personnes ont été condamnées pour homicides sur mineur de moins de 15 ans selon les chiffres du ministère de la justice. En 2012, 12 majeurs ont été condamnés pour ces faits. Mais ce chiffre comporte plusieurs limites: premièrement, il ne prend pas en compte les cas d’assassinat ou de violences ayant entraîné la mort. Voici les explications du ministère de la justice relayées par l’ONDRP :
Le ministère de la Justice précise qu'il est possible que la qualification de meurtre soit plus souvent rejetée au profit de celle de violence suivie de mort. Il est aussi possible que le meurtre soit plus fréquemment qualifié d'assassinat, auquel cas l'information tenant à la minorité de 15 ans de la victime ne se retrouve pas.
Deuxièmement, il ne reflète pas le fait qu'une même personne puisse être condamnée pour plusieurs faits, tout comme plusieurs personnes peuvent être condamnées pour un même homicide. Il ne prend pas non plus en compte les cas de suicides après une mise en examen. Or, selon une étude sur les violences au sein du couple citée par l'ONDRP, en 2015, 17 auteurs ont été identifiés pour 36 homicides sur mineurs de moins de 15 ans, et parmi eux 7 ont mis fin à leurs jours après leurs actes.
Les statistiques de la police et de la gendarmerie : 103 mineurs tués en 2015
Ces dernières sont résumées dans une note de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publiée en octobre 2017. Celle-ci s'appuie uniquement sur les homicides volontaires des mineurs de moins de 15 ans recensés par «l'état 4001», qui rassemble l'ensemble des faits constatés par la police et la gendarmerie. Précisions que ce fichier recense les faits portés à la connaissance des forces de l'ordre et pour lesquels le parquet a été saisi, sans que la procédure judiciaire ait forcément abouti.
Pour l'année 2015, on comptabilise ainsi 72 victimes mineures de moins de 15 ans d'homicide volontaire et 31 victimes de moins de 15 ans de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Soit 103 victimes au total. On connaît l'âge de 95 victimes sur 103. «Parmi l'ensemble de ces victimes, 42% étaient âgés de moins d'un an au moment des faits, cela représente 40 mineurs sur les 95 recensés. 41% avaient entre 1 et 7 ans soit 39 mineurs dont 29 âgés de 1 à 3 ans, tandis que 17% avaient entre 8 et 14 ans (16 cas)», note l'ONDRP. Dans le détail, 21 des victimes d'homicides avaient moins d'un an, et 19 des victimes de violences ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner avaient moins d'un an.
L’auteure de la note observe par ailleurs une diminution du nombre d’homicides sur les enfants. Alors qu’entre 1997 et 2006, le nombre d’homicides était de 79 cas recensés en moyenne chaque année, ce taux a baissé à 57 homicides en moyenne entre 2007 et 2016 (on ne parle ici que des homicides, et non des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner).
Mais ces chiffres officiels sont probablement sous-estimés. Anne Tursz, épidémiologiste à l’Inserm et auteure de plusieurs études sur la sous-estimation des infanticides explique que toutes les morts suspectes ne donnent pas lieu à une enquête. Et ne sont donc pas recensées par les forces de l’ordre.
L'une des principales raisons pour lesquelles la police (puis la justice) ne sont pas toujours saisies serait, selon la chercheuse, une propension à signaler les morts suspects variable selon la catégorie sociale de parents. «Il y a une idée reçue qui lie classe sociale et maltraitance, et qui est complètement fausse», explique-t-elle, avant de souligner que «si on ne cherche rien, on ne va rien trouver». Ainsi, les homicides des classes sociales aisées seraient moins comptabilisés comme des morts suspectes, et davantage comme des accidents.
Les données de l'Inserm
Regardons désormais les statistiques de l’Inserm. Au sein de cet institut, c’est le CépiDC (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) qui recense toutes les causes médicales de décès. En 2015, celui-ci a recensé 31 homicides sur mineurs de moins de 15 ans. 16 victimes étaient âgées de moins d’un an, 5 avaient entre un et quatre ans, et 10 d’entre elles avaient entre cinq et quatorze ans. Pourquoi une telle différence avec les chiffres enregistrés par la police? Le CépiDC s’appuie sur les certificats de décès remplis par les médecins, et ceux-ci ne sont pas toujours complets. Par exemple, il peut être inscrit traumatisme crânien, sans qu’il soit précisé si celui-ci est accidentel ou intentionnel. Et donc, même si ce traumatisme crânien est intentionnel le CépiDC ne pourra pas l’enregistrer parmi les homicides…
250 enfants de moins d’un an tués annuellement, selon une équipe de l'Inserm
À partir de ces statistiques, une équipe de l'Inserm a cherché à estimer la sous-évaluation de ces statistiques sur les infanticides (enfants de moins d'un an). En recoupant dans trois régions, les statistiques de l'institut avec celles des parquets et des hôpitaux, l'équipe de l'épidémiologiste Anne Tursz en a conclu que les chiffres du CépiDC étaient 15 fois inférieurs à la réalité. On estime ainsi à 250 le nombre d'enfants de moins d'un an tués par an. «C'est un ordre de grandeur» précise Anne Tursz.
Ce correctif ne concerne donc, selon ces travaux, que les enfants de moins d'un an. Peut-on l'appliquer à l'ensemble des homicides concernant les moins de quinze ans? Anne Tursz s'y risque dans un livre publié en 2013, produisant un tableau où elle dénombre chaque année entre 360 et 810 enfants tués.
Ce tableau valide un chiffre qu'on entend souvent, selon lequel «1 à 2 enfants seraient tués chaque jour». Anne Tursz cite d'ailleurs cette statistique, en expliquant que l'extrapolation du rapport de 1 à 15 à tous les homicides d'enfants de moins de 15 ans, n'est pas «vraiment hasardeuse».
De plus, si on applique le correctif de 15 de l'enquête sur les morts suspectes de nourrissons aux homicides des moins de quinze ans tels que recensés par le CépiDc à partir du codage des certificats de décès, on aboutit à ce chiffre qu'on entend partout : 1 ou 2 enfants meurent chaque jour de maltraitance ou de négligence. Il s'agit d'une extrapolation, mais pas vraiment hasardeuse. Le chiffre de 255, obtenu pour les moins d'un an, l'a été de façon rigoureuse, et on sait que c'est une estimation minimale.
Contactée par CheckNews, la chercheuse convient qu'il est «difficile d'extrapoler» pour les enfants plus âgés. Ce qu'elle écrit d'ailleurs dans le passage cité plus haut. Il reste «plus difficile de dissimuler les causes d'une mort chez les enfants plus grands», explique-t-elle.
La «fake news» du «deux enfants tués chaque jour»
Ajoutons enfin que Laurent Puech, auteur d'une étude sur la «fake news» du «deux enfants tués par jour» conteste radicalement des travaux d'Anne Tursz : aussi bien l'estimation des 255 nouveaux nés tués chaque année que l'extrapolation qui en est faite à propos des homicides de mineurs de moins de quinze ans. Il reconnaît toutefois que les données officielles sont sous-estimées.
Disons-le d'emblée : il est hautement probable que le nombre réel d'enfants victimes d'un homicide parental est plus élevé que le nombre officiel. Comme pour les homicides en général, on peut rationnellement penser qu'une part de ceux concernant des enfants n'est pas détectée comme relevant de cette catégorie.
En résumé, selon la source qu'on regarde, le bilan des infanticides ou des homicides de mineurs de moins de quinze ans varie considérablement. Les forces de l'ordre dénombraient 72 victimes d'homicides en 2015. L'Inserm en recensait 31 la même année. Alors que certains travaux (contestés) font état de plusieurs centaines par année.
Cordialement