Question posée par le 04/07/2018
La loi qui a modifié la Constitution canadienne est entrée en vigueur l’été dernier, mais les intox à son sujet n’ont pas fini de tourner sur Facebook (1).
L'article «des Canadiens peuvent être emprisonnés ou recevoir une amende pour un usage incorrect des pronoms de genre», du site américain conservateur the Daily Signal est publié quelques jours après que la loi C-16 a été validée par le Sénat canadien, en juin 2017. Une loi qui «rend illégale l'utilisation du mauvais pronom», écrit the Daily Signal, selon qui «les critiques de la loi qui ne suivent pas la théorie progressiste du genre [sic] peuvent être accusés de crimes de haine, emprisonnés, faire l'objet d'une amende […]»
Après ce premier paragraphe s’enchaînent les citations du Premier ministre Justin Trudeau et de la Ministre de la Justice Wilson-Raybould, favorables au projet, puis de personnes opposées à la réforme.
Précisons d'emblée ce que celle-ci contient : le Bill C-16 amende la Constitution canadienne (Canadian Humans Right Act) et le Code criminel.
D'abord, l'amendement inscrit dans la loi constitutionnelle, aux côtés des discriminations de handicap, de religion, sexuelle, etc. les discriminations basées sur «l'expression ou l'identité de genre».
Ensuite, cette réforme, via la modification du Code criminel, reconnaît parmi les «groupes identifiables» susceptibles d'être victimes de «discours de haine» («hate propaganda»), les personnes «qui se distinguent par leur identité ou leur expression de genre». Toujours dans le Code criminel, le Bill C-16 interdit aux juges de prendre en compte l'identité ou l'expression de genre pour rendre leur décision.
«Pas de criminalisation du mauvais usage des pronoms»
Mais à aucun moment la nouvelle loi canadienne ne dispose que les personnes qui emploieraient le mauvais pronom (celui ne respectant pas le genre de la personne et par lequel elle veut être appelée) puissent aller en prison. C'est ce qu'ont rappelé plusieurs juristes canadiens à différents médias : «Il n'y a pas de criminalisation du mauvais usage du pronom», explique la professeur de droit de l'Université de Toronto Brenda Cossman à Associated Press dans une dépêche consacrée à corriger les erreurs du Daily Signal. Seuls les discours «extrêmes» seront jugés criminels, il faut qu'ils «promeuvent délibérément la haine», renchérit Richard Moon de l'Université de Windsor, spécialisé dans la liberté d'expression.
«Je ne crois pas qu'un seul expert du droit dirait que [cela] peut atteindre le seuil du discours de haine au Canada», estime Cossman auprès du Torontoist. «Aussi désagréable et irrespectueux que cela puisse paraître, ce n'est sûrement pas quelque chose qui peut faire l'objet de poursuite au titre du Code criminel», ajoute Noa Mendelsohn Aviv, un avocat de l'association des libertés civiles canadiennes auprès de Canadaland.
L'idée que le Bill C 16 puisse mener les personnes n'utilisant par le pronom correct en prison vient notamment de Jordan Peterson, un très conservateur professeur de psychologie à l'Université de Toronto. Ce «héraut des masculinistes» (Le Monde) a ferraillé dur contre la réforme après s'être illustré en refusant d'utiliser des pronoms neutres quand ses étudiants lui demandaient.
Reprochant au projet de restreindre la liberté d'expression, il avait ensuite assuré en octobre 2016 sur un plateau de télévision qu'il ferait une grève de la faim s'il était condamné à de la prison pour ses positions. Tant que cela reste une question de pronom, ça ne risque pas d'arriver.
(1) Pour lutter contre les «fake news», Facebook a mis en place un partenariat avec cinq fact-checkers français (dont Libération). Des articles très partagés sur le réseau social et signalés par des utilisateurs sont vérifiés par les médias français.