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Les pêcheurs britanniques de coquilles Saint-Jacques étaient-ils dans les eaux françaises ou internationales ?

Les Britanniques ne peuvent pas pêcher dans les eaux territoriales françaises, mais dans la zone économique exclusive de la France.
Des coquilles Saint-Jacques pêchées au large de Port-en-Bessin (Calvados) le 18 décembre 2014 (Photo CHARLY TRIBALLEAU. AFP)
publié le 6 septembre 2018 à 17h38

Les pêcheurs anglais qui ont été pris à partie par des pêcheurs français pêchent-ils la coquille Saint-Jacques dans les eaux françaises ou internationales ? Tous les médias ne donnent pas la même information…

Question posée par Emmanuelle Suat le 5 septembre 2018

Bonjour,

Un accord est en passe d'être finalisé entre les pêcheurs de coquilles Saint-Jacques français et britanniques. La semaine dernière, des pêcheurs français sont intervenus en baie de Seine pour empêcher leurs homologues britanniques de pêcher la coquille Saint-Jacques. Les Normands, qui n'ont le droit de pêcher la coquille que du 1er octobre au 15 mai, voulaient leur interdire l'accès à un gisement de coquillages. La «bataille de la coquille Saint-Jacques» a ainsi été rouverte.

Vous vous demandez si l’altercation a eu lieu dans les eaux territoriales françaises ou internationales. On lit en effet souvent que les heurts se sont déroulés à douze milles nautiques des côtes françaises et dans les eaux internationales. Or, douze milles nautiques, c’est pile la frontière des eaux territoriales françaises.

Le droit international distingue trois zones maritimes:

- Entre 0 et 12 milles marins des côtes, on trouve les eaux territoriales où l’Etat est totalement souverain.

- De 12 à 200 milles, il existe une zone économique exclusive (ZEE) où l’Etat est souverain en matière économique (donc, sur les ressources et la pêche).

- Au-delà, on trouve la haute mer, aussi appelée «eaux internationales», qui est sous l’autorité d’aucun Etat.

Un pays a donc le droit de pêcher, et de réguler l’activité, dans ses eaux territoriales et dans sa ZEE.

Les heurts se sont déroulés dans la ZEE française

Les pays membres de l’UE, eux, ont accès à toutes les ZEE des autres Etats membres. Ainsi, les pêcheurs français peuvent se rendre dans la ZEE britannique, espagnole ou portugaise et vice-versa, selon l’article 5 du règlement relatif à la politique commune de la pêche. Selon ce règlement, les pêcheurs britanniques ont donc le droit de pêcher en baie de Seine en restant dans la ZEE. C’est là que se sont déroulés les affrontements de la semaine dernière. Dans la ZEE française de la baie de Seine, au-delà de la limite des douze milles marins. Plus précisément, la zone de tensions est située au sud de la ligne «Barfleur – Antifer», entre le parallèle 49°42’N et la limite des eaux territoriales.

Quant aux eaux territoriales, elles peuvent aussi être ouvertes à certains Etats membres qui, traditionnellement, y accédaient déjà avant la mise en œuvre de la politique commune de la pêche (PCP) en 1983. Ainsi, les Britanniques, Belges ou Espagnols peuvent avoir accès à certaines zones du littoral français, situées à moins de 12 milles des côtes. Mais ce n’est pas le cas de la baie de Seine. Les eaux territoriales françaises de la baie de Seine sont exclusivement réservées aux pêcheurs français.

Dans ces deux zones (ZEE et eaux territoriales), l’Etat membre peut décider d’établir des règles spécifiques (sur les quotas, les périodes de pêche, etc.), à condition que celles-ci soient plus strictes que la réglementation européenne. Mais ces règles plus strictes ne s’appliquent qu’aux bateaux battant pavillon de l’Etat membre les fixant, pas aux autres. À moins d’un accord spécifique.

Un accord bilatéral en négociation

C'est ce qui s'est passé pour la coquille Saint-Jacques. La France a décidé d'instaurer une saison de pêche, allant du 1er octobre au 15 mai, alors que le Royaume-Uni n'a pas instauré de telles règles. Ce qui autorise donc, de facto, les Britanniques à venir pêcher dans la ZEE française même quand les Français n'ont pas le droit. Depuis 2013, des accords ont réglé (en partie) la question: les Britanniques s'engageaient à respecter la fermeture estivale de la pêche aux coquillages, en échange de l'obtention de davantage de «quotas d'efforts» (un nombre de jours annuels autorisant la pêche). Cet accord bilatéral ne concernait toutefois que les bateaux de plus de quinze mètres. Confrontés à la «multiplication des navires de moins de 15 mètres», indiquent les Normands, et au «pillage» de ces ressources, les Français ont souhaité inclure ces bateaux dans l'accord. En 2018, les négociations sur ce sujet n'ont pas abouti. Les Britanniques ont donc pu se rendre sur un gisement de coquillages situé dans la ZEE française au mois d'août, alors que la saison était encore fermée en France. Les «tensions croissantes» entre marins français et britanniques ont donc abouti aux heurts de la semaine dernière. Les négociations ont donc finalement repris hier, et un accord devrait être finalisé vendredi 7 septembre.

Reste une dernière question: que va changer le Brexit à cette situation? Tout dépend des négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Si aucun accord n'est trouvé, les Anglais risquent tout simplement de n'avoir plus aucun accès à la ZEE française. Mais cela serait aussi vrai pour les Français. Ainsi, les pêcheurs normands reconnaissent bien dans un communiqué «les droits historiques des Britanniques sur zones tout comme des pêcheurs français ont des droits historiques dans les eaux britanniques». Impossible donc de dire, aujourd'hui, ce que changera le Brexit aux négociations sur la coquille Saint-Jacques.

Cordialement