Question posée par Matteo Car le 15/10/2018
Bonjour,
Nous avons reformulé votre question initiale: «Elizabeth Warren a-t-elle vraiment fourni un document qui prouve qu'elle possède environ 0,1% de «sang d'Indien d'Amérique» ?»
Lundi 15 octobre 2018, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren a mis en ligne un document indiquant les résultats d'un test ADN assurant qu'elle a des origines amérindiennes, ajouté à son site internet une section consacrée par sa «fact-squad» à ses origines amérindiennes et publié cette vidéo. Elizabeth Warren y raconte l'histoire d'amour difficile de ses parents, car «les parents de son père s'opposaient farouchement à leur mariage parce que la famille de sa mère était connue pour être en partie amérindienne et, à l'époque, c'était une grande ligne de clivage».
Comme on peut le voir sur la vidéo, tous ces efforts de la sénatrice (pressentie pour mener la campagne présidentielle pour les Démocrates en 2020) constituent une réponse aux nombreuses attaques du président américain Donald Trump, qui l'a publiquement surnommée «Pocahontas», pour se moquer de ses prétendues origines amérindiennes.
Parmi ces provocations, on peut citer celle du 5 juillet 2018, lorsque lors d'un meeting dans le Montana, Donald Trump s'imagine débattre contre Elizabeth Warren: «Disons que je débats avec Pocahontas. Je vous promets que je vais le faire : je vais prendre ces petits kits qu'ils vendent à la télévision pour deux dollars. Et au milieu du débat, quand elle proclamera qu'elle est d'origine indienne parce que sa mère dit qu'elle a des pommettes hautes - c'est sa seule preuve, sa mère dit que "nous avons des pommettes hautes". Nous prendrons cette petite trousse, mais nous devons le faire doucement. Parce que nous sommes de la génération #MeToo, donc je dois être très doux. Et nous prendrons très doucement ce kit, et le jetterons lentement, en espérant qu'il ne lui blesse pas le bras, et nous dirons : «Je donnerai un million de dollars à votre œuvre caritative préférée, qui seront payés par Trump, si vous faites le test et qu'il montre que vous êtes une Indienne». Et voyons ce qu'elle fera. J'ai le sentiment qu'elle dira non. Mais nous garderons ça pour les débats.»
Le test ADN affirme avoir trouvé des traces d’ancêtre amérindien chez Warren
Le 15 octobre 2018, le jour où elle a rendu public les résultats de son test ADN, Elizabeth Warren n’a pas oublié l’engagement de Donald Trump et lui a adressé ce tweet, dans lequel elle l’invite à reverser le million de dollars promis au centre national de ressources pour les femmes amérindiennes.
By the way, @realDonaldTrump: Remember saying on 7/5 that you’d give $1M to a charity of my choice if my DNA showed Native American ancestry? I remember – and here's the verdict. Please send the check to the National Indigenous Women’s Resource Center: https://t.co/I6YQ9hf7Tv pic.twitter.com/J4gBamaeeo
— Elizabeth Warren (@ewarren) October 15, 2018
Mais que dit ce test ADN au juste? Le rapport présentant les résultats et signé par Carlos D. Bustamante, professeur de génétique des populations humaines à l'université de Stanford, commence par ce résumé: «Nous constatons qu'un échantillon d'ADN d'origine principalement européenne contient également des ascendances amérindiennes provenant d'un ancêtre dans la généalogie de l'échantillon il y a 6 à 10 générations. Nous ne trouvons que peu ou pas de preuves d'ascendance africaine dans cet échantillon.»
Trump et la Nation Cherokee ne considèrent pas Warren comme une Amérindienne
Se fiant à ces estimations sur les générations, les supporters de Trump ont donc calculé qu'Elizabeth Warren n'est Amérindienne qu'à 1/64 (2 puissance 6) ou 1/1024 (2 puissance 10). Un calcul rapidement repris par le président américain sur Twitter, où il tape à nouveau sur la sénatrice: «Pocahontas (la mauvaise version), parfois appelée Elizabeth Warren, se fait écraser. Elle a fait un test ADN bidon, qui a montré qu'elle ne serait amérindienne qu'à 1/1024, beaucoup moins que la moyenne américaine. Maintenant, la nation Cherokee la renie : «Les tests ADN sont inutiles.» Même eux ne veulent pas d'elle. Bidon !»
Le reniement auquel fait référence le président américain est un communiqué publié lundi 15 octobre 2018, par le secrétaire général de Nation Cherokee, Chuck Hoskin Jr., en réaction au test ADN d’Élizabeth Warren, dans lequel il rejette cette méthode pour prouver son origine.
«Un test ADN est inutile pour déterminer la citoyenneté tribale. Les tests ADN actuels ne permettent même pas de distinguer si les ancêtres d'une personne étaient des autochtones d'Amérique du Nord ou du Sud. Les nations tribales souveraines établissent leurs propres exigences juridiques en matière de citoyenneté, et bien que les tests d'ADN puissent être utilisés pour déterminer la filiation, comme la paternité d'un individu, ils ne constituent pas une preuve d'affiliation tribale. Utiliser un test d'ADN pour revendiquer un lien quelconque avec la nation Cherokee ou une nation tribale, même vaguement, est inapproprié et erroné. Cela tourne en dérision les tests d'ADN et leurs utilisations légitimes, tout en déshonorant les gouvernements tribaux légitimes et leurs citoyens, dont les ancêtres sont bien documentés et dont le patrimoine est prouvé. Le sénateur Warren mine les intérêts tribaux en revendiquant son héritage tribal.»
On notera cependant qu'à la fin de sa vidéo, après avoir demandé au généticien Carlos Bustamante de rappeler les faits qui indiquent que sa mère n'est pas une menteuse, Elizabeth Warren déclare: «Je ne suis pas membre d'une tribu, et seules les tribus déterminent la citoyenneté tribale. Je comprends et je respecte cette distinction. Mais l'histoire de ma famille reste l'histoire de ma famille.»
Un test authentifié par un généticien mondialement reconnu
Pour comprendre en détail les résultats de cette analyse, et surtout savoir quel crédit on peut leur donner, CheckNews a contacté les spécialistes de la génétique Jean-Louis Mandel, anciennement professeur honoraire de génétique humaine au Collège de France et Paul Verdu, chercheur au CNRS et généticien des populations humaines au Musée de l’Homme.
Sur le test en lui-même, de nombreuses entreprises aux Etats-Unis proposent des kits de tests ADN permettant de trouver ses origines ethniques à des prix très variables et donc avec des résultats plus ou moins fiables. Dans le cas d'Elizabeth Warren, les résultats sont authentifiés par Carlos Bustamante. Les deux chercheurs interrogés ont totalement confiance en lui puisque pour Jean-Louis Mandel il s'agit d' «un expert mondialement reconnu dans le domaine de la génétique des populations humaines (on pourrait presque dire une star, car il donne des conférences dans les congres les plus prestigieux)» et que Paul Verdu confirme qu'il est «un très gros poisson de la génétique des populations humaines modernes aujourd'hui dans le monde. Il a notamment été impliqué dans le déploiement de projets fondateurs internationaux comme le 1000 Genome project. Pas de doutes, a priori, à avoir sur la compétence du Monsieur et de ses équipes sur les questions dont il s'agit ici». Elizabeth Warren n'a donc pas fait appel à un charlatan.
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Des proximités avec l’ADN d’Amérindiens
Pour la méthodologie, les chercheurs interrogés par CheckNews expliquent que ce test ADN revient à comparer certaines parties de l'ADN d'Elizabeth Warren avec celle d'autres personnes typées par leur origine. Après lecture du rapport de Carlos Bustamante, Paul Verdu décrypte: «Le résultat scientifique ici, est que 5 grandes régions du génome de Mme Warren représentant 0.7% de son génome complet (25.6 centimorgans), sont plus proches des échantillons de références labellisés comme «Native American» que des autres séquences d'ADN provenant d'individus labellisés «européens», «africains» et «est asiatiques». Ce pourcentage semble faible, il est pourtant plus de 10 fois plus élevé que ce qu'on trouve chez n'importe quel autre individu labellisé comme «européen américain» ou «européen d'Europe» de la base de référence ici utilisée.»
Jean-Louis Mandel ajoute que «Bustamante dit bien qu'il n'a pas de population de référence suffisante pour toutes les populations amérindiennes, donc il serait susceptible de louper certaines origines». Il faut donc lire les 0,7% calculés par Paul Verdu comme un «au moins 0,7%». Un rappel également souligné par Paul Verdu dans nos échanges, qui continue en apportant un avertissement sur la mention des 6 à 10 générations citées par Bustamante : «le plus parcimonieux est de dire que ces 0.7% sont arrivés dans le génome de Mme Warren par métissage dans la lignée généalogique ayant donnée naissance à Mme Warren. C'est très probablement vrai (ces 0.7% ne sont pas apparus par miracle), en revanche il est extrêmement délicat de donner un nombre de générations ou de pointer quel grand-parent est responsable de cela.»
Le problème des catégories
Lors de notre échange, Paul Verdu a tenu à insister sur le problème que posent les catégories des tests génétiques, qui indiquent à quel point un individu est d'origine française, amérindienne ou allemande: «Il n'y a pas d'ADN européen, indien, guatémaltèque ou Pygmée. Il y a de l'ADN qui provient d'individus différents et c'est ce qui est comparé par les analyses de génétique. C'est ensuite le chercheur qui donne le label 'européen' 'indien', 'guatémaltèque' sur l'ADN des individus, et qui opère un glissement lourd de sens pour dire 'c'est l'ADN des Européens des Indiens et des Guatémaltèques» et continue: «il est faux de laisser penser que Mme Warren descend génétiquement des individus porteurs de l'ADN ici utilisé pour comparaison: ces ADN sont celui de gens vivants, et ne sont pas apparentés généalogiquement à Mme Warren.»
Veillant à rester précis, le chercheur au CNRS explique que «ce qu'il faudrait dire pour être brutalement scientifique c'est plutôt que Mme Warren a, dans son génome, une petite partie ressemblant beaucoup aux génomes qu'on trouve aujourd'hui chez des individus se définissant comme «Native American». Il est très improbable que ce fait soit dû au hasard, et il est donc sérieusement légitime de penser qu'un ou des individus originaires génétiquement de populations autochtones des Amériques aient contribué à la généalogie biologique de Mme Warren.»
En résumé: La sénatrice américaine Elizabeth Warren a publié lundi 15 octobre 2018 un test génétique, authentifié par un expert reconnu dans le domaine de la génétique, et qui indique qu'elle a des proximités avec l'ADN de personnes identifiées comme descendants d'Amérindiens. Elizabeth Warren avait indiqué avoir des ancêtres amérindiens du côté de sa mère, ce qui lui avait valu les risées de Donald Trump. Contactés par CheckNews, des généticiens français confirment le sérieux de cette analyse.
Cordialement